Lutter contre les vagues de haine sur Twitter.

Cela arrive de plus en plus souvent sur Twitter : une déclaration déclenche des réactions d’internautes qui vont bien au-delà de la simple offuscation ; lorsque ce n’est pas une insulte c’est carrément une menace de mort. Je ne vais pas ici rappeler de quoi il a été question ces derniers temps d’une part pour ne pas avoir l’air de prendre parti et d’autre part parce que – hélas – ce phénomène sera fatalement amené à se reproduire.
Des drames sont déjà survenus, d’autres surviendront. Mais je veux tenter ici une analyse un peu différente de ce que l’on a pu lire ici où là car affiner notre connaissance et notre perception de ce qui arrive devrait permettre de nous donner les bonnes armes en retour.
Commençons donc par la phrase, le tweet, la déclaration qui déclenche tout. On ne le dit pas assez mais pour réagir au point de menacer de mort l’auteur* il faut un cheminement intellectuel pas nécessairement complexe à suivre : premièrement prendre l’attaque pour soi-même. En s’appropriant la phrase on lui donne une tournure personnelle. Peu importe que la personne visée était tel ou tel personnage public, « je me sens visé« , « je suis directement touché » par la phrase en question, donc je réagi comme si c’était moi, personnellement qui était attaqué. Si X a écrit que Y était un (peu importe) je vais m’instituer défenseur de Y quand bien même je ne le connais pas autrement que par la télévision, la radio ou internet. Cette réaction a sa logique, compréhensible de surcroît. Il faut par contre se demander pourquoi elle dégénère d’entrée de jeu en menace de mort. Je vais convoquer ici la sociologie. J’estime que le plus souvent c’est par manque de vocabulaire que le répondant en arrive à cette extrémité. Incapable de nuancer son opposition il va tout de suite «au maxi», à la menace de mort.
Permettez-moi ici une digression pour illustrer mon propos. J’attendais un jour l’autobus à un arrêt. A coté de moi deux adolescents, un garçon et une fille visiblement en couple. La discussion qu’ils avaient portait sur un désaccord. En résumé le garçon tentait de convaincre son amie qu’il avait raison mais faute de trouver des arguments convaincants il ponctuait chaque phrase ou presque d’un « sur ma vie ! » qui en toute logique n’appelle aucune réponse. Les trois ou quatre minutes que j’ai passé malgré moi comme témoin de cette scène me démontrait que l’usage systématique de ce « sur ma vie ! » ne venait pas du peu de prix que le garçon accordait à la sienne mais d’un manque criant de vocabulaire. Il n’avait en tête que cet argument pour se défendre car il ne savait tout simplement pas en utiliser d’autres.
C’est à l’aune de cette courte histoire que je pense que la plupart des réactions sont de cette ordre. Je me dépêche toutefois d’ajouter que certaines réactions directes sont assumées et que l’auteur trouve dans la polémique une justification de ce qu’il pensait déjà. Autrement dit – et pour être bien clair – la menace de mort était déjà là, quelque part en l’air, et il ne restait plus que l’étincelle pour la publier, l’écrire sur Twitter. Dans ce cas précis la polémique, la phrase de départ sert en réalité de prétexte.
J’en viens donc à la seconde phase de mon analyse, comme lutter contre cela ? Lutter en amont est malheureusement illusoire. Quelles que soient les mesures prises il restera toujours un reliquat d’invidus prêt à écrire une menace de mort sur Twitter, par pure bravade ou par volonté directe de vouloir la mort de la personne en question. Je l’ai lu, nous l’avons vu, la victime a annoncé vouloir porter plainte systématiquement. C’est précisément là où il est possible de faire quelque chose. Pas pour ce cas non, il est trop tard, mais pour les suivants. Il faut se donner les armes de pouvoir répondre à la vitesse à laquelle ces menaces de mort affluent.
Prenons l’exemple d’une plainte. Il faut déposer la plainte ; il faut ensuite que celle-ci soit examinée, qu’elle soit déclarée recevable et l’enquête peut alors commencer ; pas avant. Ici entre en jeu deux organismes tiers à savoir Twitter et le Fournisseur d’accès à internet, le FAI. L’enquêteur va envoyer une demande à Twitter pour récupérer l’adresse IP du tweet incriminé. Il doit ensuite envoyer cela au FAI qui doit en retour identifier le propriétaire de l’adresse IP. C’est un circuit simplifié mais on voit déjà les écueils et les lenteurs d’un tel système. Il va s’écouler des semaines au mieux, des mois au pire avant que l’auteur des menaces de mort soit inquiété. Et encore, en fait d’inquiétude ce ne sera dans un premier temps qu’une convocation de police ; le procès est encore bien loin à supposer qu’il ait lieu un jour. Quant au compte Twitter il n’est pas suspendu ou s’il a été il ne l’est plus.
Cette description doit nous conduire à imaginer une autre façon de faire car si notre système judiciaire sait réagir à une menace de mort il ne sait pas réagir lorsqu’il y en a des centaines en quelques jours, voire en quelques heures. Par conséquence je suggère la création d’un « plan » à l’image du plan ORSEC pour les inondations ou du plan Blanc pour les accidents les plus graves.
La machine judiciaire doit être en capacité de mobiliser autant de personnel que nécessaire pour traiter dans les heures qui suivent ce déferlement de haine. Ce que je vais décrire est théorique, charge aux politiques et aux différents professionnels de traduire cela dans la loi.
Ainsi dans mon esprit la victime ne déposerait pas plainte individuellement mais autoriserait un organisme à scruter les réponses au tweet initial. Comme cela la menace de mort est lue en premier non pas par la vicime mais par un OPJ qui peut donc caractériser l’infraction. Twitter doit être de la partie et devra lui aussi mobiliser ses équipes afin d’isoler les adresses IP de toutes les réponses, des bonnes comme des mauvaises, autrement dit sans attendre la demande officielle d’un procureur. Filtrés par l’OPJ seuls les tweets réputés délictueux passent ensuite chez le FAI qui procède à l’identification. Ici c’est une véritable course de vitesse qui s’engage et avant même le procès pour « menaces de mort » il faudrait – a minima – que l’auteur de ces menaces  puisse voir son compte suspendu tout le temps de l’enquête et pour ce motif précis ; il y a bien suspension du compte mais non pas par Twitter et pour cause de « violation de la politique du site » mais par la machine judiciaire, Twitter ne faisant que s’y conformer.
C’est qu’en l’espèce il faut lutter contre une notion terrible : l’impunité. Tranquillement installé derrière son écran l’auteur de la menace de mort sait qu’il ne risque rien ou presque. C’est surtout que rien ne se passe une fois la menace écrite, ou plutôt cela se passe comme il l’espère : réponses à son tweet pour lui donner raison, sans parler des « like » et autres « RT ». Alors qu’en fait il faudrait rendre ce tweet invisible et engager les diligences pour mettre un visage derrière une telle déclaration.
Notre arsenal judicaire est très en retard et surtout totalement inadapté à répondre à ces menaces d’un genre nouveau. Alors ou bien on décide de prendre ce problème à bras le corps et l’on crée un circuit d’investigation totalement nouveau ou bien on reste avec les outils dont on dispose aujourd’hui et nous pouvons déjà écrire que rien ne sera résolu pour la prochaine fois.

* Comme à chaque fois sur ce blog le féminin est implicite.

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La prison, rien que la prison et toute la prison ?

M. Ian Boucard, député du groupe LR, a déposé sur le bureau de l’assemblée nationale une proposition de loi (N° 3799) visant à supprimer les réductions de peines automatiques.
Je prends la plume pour exprimer ici mes réticences, toutes individuelles puisque n’étant mêlé ni de près ni de loin au monde judiciaire.
Dans l’exposé des motifs le député explique qu’ « En effet, ces crédits de réductions de peines sont accordés de droit à chaque personne condamnée et ils sont directement calculés en fonction de la durée de la condamnation prononcée. De ce fait, un détenu peut, dès sa condamnation, connaître la durée de la peine qu’il n’effectuera pas en prison. » (c’est moi qui souligne).
Je dois hélas d’entrée de jeu contredire cet argument puisque l’article 721 du code de procédure pénale stipule que « Lors de sa mise sous écrou, le condamné est informé par le greffe de la date prévisible de libération compte tenu de la réduction de peine prévue par le premier alinéa (…). Cette information lui est à nouveau communiquée au moment de sa libération. »
Autrement dit ce n’est pas le détenu qui peut connaître le temps de réduction de peine auquel il peut prétendre mais c’est l’administration pénitentiaire qui est tenue par la loi de lui communiquer cette information. La nuance est de taille, convenez-en.
M. Boucard poursuit : « Si l’individualisation des peines est un principe fort du droit pénal français, qui plus est à valeur constitutionnelle, force est cependant de constater qu’il ne s’applique pas aux remises de peines puisque ces crédits sont accordés automatiquement à chaque détenu. »
Sauf qu’à lire la loi, il n’est pas du tout question d’automaticité, contrairement à ce que le député laisse entendre. Ainsi, le juge de l’application des peines « peut également ordonner le retrait [de la réduction de peine] lorsque la personne a été condamnée pour les crimes ou délits, commis sur un mineur, ou commis à l’encontre de son conjoint, de son concubin ou du partenaire lié à elle par un pacte civil de solidarité de meurtre ou assassinat, torture ou actes de barbarie, viol, agression sexuelle ou atteinte sexuelle et qu’elle refuse pendant son incarcération de suivre le traitement qui lui est proposé par le juge de l’application des peines, (…). Il en est de même lorsque le juge de l’application des peines est informé (…) que le condamné ne suit pas de façon régulière le traitement qu’il lui a [été] proposé. Il peut également ordonner, après avis médical, le retrait lorsque la personne condamnée (…) refuse les soins qui lui sont proposés. » Nous le voyons, les cas de retrait sont nombreux et surtout, clairement énumérés.
Je me dois d’ajouter que cet article 721 prévoit aussi qu’ « En cas de mauvaise conduite du condamné en détention, le juge de l’application des peines peut être saisi par le chef d’établissement ou sur réquisitions du procureur de la République aux fins de retrait, à hauteur de trois mois maximum par an et de sept jours par mois, de cette réduction de peine.« . Donc non, définitivement non, ces crédits ne sont pas accordés automatiquement à chaque détenu.
Les récidivistes sont par ailleurs davantage pénalisés – si je peux me permettre ce qualificatif – par rapport à un condamné qui effectuerait une première détention : « En cas de nouvelle condamnation à une peine privative de liberté pour un crime ou un délit commis par le condamné après sa libération pendant une période égale à la durée de la réduction résultant des dispositions du premier alinéa et, le cas échéant, du deuxième alinéa du présent article, la juridiction de jugement peut ordonner le retrait de tout ou partie de cette réduction de peine et la mise à exécution de l’emprisonnement correspondant, qui n’est pas confondu avec celui résultant de la nouvelle condamnation. »
Au vu de sa présente rédaction mais surtout à la lecture de l’exposé des motifs, je ne vois plus trop ce que l’on peut reprocher à cet article 721 pour en réclamer l’abrogation. Ou plutôt si, je vois très bien : les signataires1 ne veulent plus entendre parler de ce crédit de réduction de peine, quitte à avoir une interprétation fantaisiste de l’article 721. Las, ils ne pouvaient pas dans l’exposé des motifs invoquer leur seule conviction – j’allais écrire leur idéologie – pour réclamer l’abrogation de cet article. Ils ont préféré tenter de démontrer qu’il était mal écrit, démonstration que je considère ratée.
Mais allons sur leur terrain pour un instant : Ce qu’ils souhaitent, c’est qu’un détenu condamné à par exemple trois ans de prison soit bel et bien trois ans en prison, dont acte. Ils oublient pourtant une donnée essentielle : bien se conduire en prison ne va pas de soi pour un détenu. Dans la grande majorité des cas le détenu est convaincu de son innocence ou à tout le moins convaincu qu’il paie trop cher une faute pas si grave que cela. Sa logique le pousse alors à en vouloir à la société en général mais il ne peut reporter sa haine qu’envers son environnement immédiat, autrement dit envers le personnel pénitentiaire voire ses co-détenus. Le seul moyen de motiver le détenu à bien se comporter est de lui expliquer que sa bonne conduite réduira quelque peu sa peine, d’où l’article 721 du code de procédure pénale.
Pour autant et pour aussi incroyable que cela puisse paraître il n’existe aucun chifre sur lequel s’appuyer et c’est là tout le problème pour évaluer l’efficacité ou pas de cette disposition. Sait-on dire combien de jours représente l’application effective de l’article 721 ? Non. A l’inverse sait-on dire combien de crédit de réduction de peine ont été retiré au cours d’une année, d’un trimestre ? Non plus. Ces informations existent mais détenu par détenu, il n’y a ensuite aucune agrégation, que ce soit par maison d’arrêt ou pour l’ensemble des prisons. Nous devons donc conclure que nous sommes en terra incognita et que la demande de l’abrogation de l’article 721 repose avant tout sur la conviction qu’elle est avantageuse pour le détenu, voire néfaste pour la société aux yeux des signataires.
J’ai eu l’occasion de l’écrire sur Twitter, nous manquons de données statistiques sur la détention. Savons-nous dire combien de détenus sortent chaque jour de nos prisons ? Non. Quelle est la part des détenus ayant un diplôme, ne serait-ce qu’un CAP ou un BEP ? Figurez-vous que personne n’en sait rien. La seule statistique disponible est celle du nombre total de détenus dans les prisons françaises, c’est tout. Le ministère de la justice serait également bien en peine – sans jeu de mot – de nous dresser le tableau du nombre de détenus par incrimination : tant pour trafic de drogue, tant pour escroquerie, tant pour assassinat, etc.
Commençons donc par avoir une vision précise et quantifiée – donc indiscutable – de l’état de la détention en France et regardons ensuite où et comment serait-il possible d’améliorer les choses. En tout état de cause la première étape n’est sûrement pas l’abrogation du système de crédit de réduction des peines.

Mise à jour, 3 mars 2021 : Un lecteur m’a signalé l’existence de statistiques diffusées par le ministère de la justice où l’on retrouve en effet le nombre de détenus par catégorie d’incrimination. La statistique consacrée à l’éducation est par contre trop imprécise puisqu’il est impossible de connaître le nombre de détenus diplômés.

1Outre Ian Boucard, Jean‑François Parigi, Laurence Trastour‑Isnart, Julien Dive, Pierre Vatin, Fabien DiI Filippo, Thibault Bazin, Sylvie Bouchet Bellecourt, Emmanuel Maquet, Julien Aubert, Alain Ramadier, Jean‑Claude Bouchet, Constance Le Grip, Fabrice Brun, Patrick Hetzel, Nathalie Porte, Pierre Cordier, Josiane Corneloup, Dino Cinieri, Anne‑Laure Blin, Brigitte Kuster, Bernard Reynes, Valérie Beauvais, Didier Quentin, Marc Le Fur, Éric Pauget, Bernard Perrut, Jean‑Luc Reitzer, Charles de la Verpillière, Annie Genevard, Rémi Delatte, Bérengère Poletti, Michel Herbillon, Virginie Duby-Muller, Valérie Bazin‑Malgras et Nathalie Serre sont également signataires de cette proposition de loi.

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Les écueils d’un Referendum d’Initiative Citoyenne (RIC).

C’est un tweet de Guillaume Champeau qui me pousse à reprendre la plume sur le RIC. Suite à l’article de France-Inter annonçant que « Le gouvernement [est] en passe d’enterrer la mise en place de la proportionnelle« , ce dernier écrit qu’ « Un pouvoir quel qu’il soit n’est jamais pressé de modifier les conditions grâce auxquelles il a obtenu le pouvoir. C’est pour ça que le référendum d’initiative citoyenne permettant d’impulser des changements « par le bas » est une nécessité en démocratie. »
Je veux décrire ici tous les obstacles à lever avant d’arriver au RIC sur la proportionnelle aux législatives ; nous verrons ensemble à quel point le RIC que Guillaume Champeau appelle de ses voeux serait inopérant.
Commençons par dire que d’un point de vue formel le RIC ne consiste pas à voter la proportionnelle, non. La question du referendum serait plutôt « Approuvez-vous le projet de loi consistant à élire les députés à la proportionnelle », voire « Autorisez-vous le Parlement à ratifier la réforme constitutionnelle (cité en annexe) ? ».
Ce que je veux dire ici c’est que ce sont les députés (et les sénateurs) qui votent la loi. Le citoyen – le C de RIC – n’a pas ce pouvoir en dépit de que qu’on pourrait en croire.

1er écueil : Faute de réforme constitutionnelle le RIC n’est rien de plus ni de moins qu’un referendum tel que nous le connaissons en ce moment.

Admettons toutefois que la pression citoyenne soit telle que le gouvernement ne puisse faire autrement qu’organiser un referendum pour que la poportionnelle entre à l’assemblée nationale. Ce serait alors un RIG, un referendum d’initiative gouvernementale. Mais surtout nous retomberions sur un referendum « classique », or le RIC ne peut pas être un referendum « classique » à cause du IC. Il se doit d’être d’initiative citoyenne ou bien il n’est pas.

2ème écueil : C’est le citoyen qui doit tenir le stylo lors d’un RIC, et lui seul.

Le citoyen, pas un parti politique quand bien même ce dernier appuierait de toutes ses forces cette initiative. Mais qu’écrire dans ce texte, comment mettre en place la proportionnelle ? Nous arrivons-là au coeur du problème : tous les partis d’opposition au gouvernement veulent de la proportionnelle mais personne n’est d’accord sur la manière de la mettre en musique. En cause les groupes parlementaires, indispensables au débat dans l’hémicycle. C’est parce qu’un député appartient à un groupe qu’il a plus ou moins de temps de parole, plus ou moins de capacité à poser des questions au gouvernement. Le seul aspect du travail de la loi qui ne fasse pas de différence entre les groupes est celui relatif au dépôt des amendements ; dans ce domaine chaque député peut en déposer autant qu’il le souhaite.
Ainsi, chaque parti d’opposition voudra bien de la proportionnelle mais à la condition que cela lui assure d’avoir un groupe parlementaire à l’assemblée nationale. Chassez la logique politicienne et elle revient au galop. Ajoutons aussi le corrolaire d’une élection proportionnelle, consistant à voter pour une liste et non plus pour un individu. C’est pourquoi je considère que le RIC – à supposer qu’il puisse voir le jour un jour – ne peut pas avoir pour objet un sujet politique mais uniquement un sujet sociétal.

3ème écueil : un RIC à visée politique – par opposition à un RIC à visée sociétale – sera toujours impossible à organiser, faute d’accord préalable sur le texte à soumettre au referendum.

Faut-il donc se passer des partis et écrire soi-même la future réforme de l’élection des députés ? Quand on lit les critiques envers la Convention Citoyenne sur le Climat ou qu’on se glose du « comité citoyen » chargé de regarder la politique vaccinale du gouvernement, je ne vois pas en quoi un n-ième comité serait lui légitime pour écrire la loi. Sans compter que ce comité pourrait très bien rédiger un texte qui n’aurait pas l’assentiment des partis d’opposition, ce qui serait un comble.

4ème écueil : un RIC doit-il nécessairement avoir l’appui des partis d’opposition au gouvernement ?

Enfin, après toutes ces péripéties arrive le jour J, le jour du scrutin. Sauf que si le « Non » l’emporte cela aura été « tout ça pour ça »…

5ème écueil : le résultat du RIC doit-il être forcément « Oui » ?

Car il ne faut pas s’y tromper, celles et ceux qui réclament un RIC ne réclament pas un RIC, non. Ils réclament un RIC à la condition que le « Oui » l’emporte, ce qui est certes compréhensible mais pas forcément très juste.

Pour en revenir au tweet initial de Guillaume Champeau, le gouvernement actuel fait tout pour que la proportionnelle ne voit pas le jour, dont acte. Mais cela veut aussi dire qu’en cas d’alternance en 2022, le futur gouvernement s’appuiera sur une majorité parlementaire qui aura été élue avec 0% de proportionnelle. D’ici à ce qu’elle se dise qu’après tout, si on a été élu comme ça c’est qu’on peut très bien être réélu avec les mêmes règles électorales, et vous voyez qu’un RIC sur ce sujet précis n’est pas prêt de voir le jour.

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De la démagogie : diviser par deux le nombre de nos députés.

La semaine dernière a été voté en première lecture le projet de loi portant « Prorogation du régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire ». Comme souvent certains* se sont émus sur les réseaux sociaux du peu de députés présents lors de la séance pour voter ce texte avec un argument a priori de bon sens : « Pourquoi avoir 577 députés s’ils ne sont que 50 à voter la loi ? »**. Faisons preuve de démagogie pour un instant et divisons par deux le nombre actuel de parlementaires, allons-y carrément. Examinons alors les conséquences d’une assemblée nationale réduite à 289 députés.
Peu y ont songé mais élire deux fois moins de députés c’est multiplier par deux les tailles des circonscriptions. Comme on dit le politique éloigné du terrain, avouez qu’étendre sa « zone de chalandise » ne le rendra pas plus proche des électeurs qu’actuellement. Mais bon, puisque c’est ainsi passons outre cette remarque et disons que notre député est élu et donc siège à coté de ses 288 autres collègues.
Démagogie oblige, quid des règles de présence en séance ? C’est le point capital de notre réforme virtuelle, son essence, sa raison d’être : moins de députés certes mais ceux qui restent devront siéger. Jusqu’à quel niveau rendre cela obligatoire ? Pas question ici de rester sur les dispositions actuelles (L’article 159 du règlement de l’assemblée nationale dispose que « le fait d’avoir pris part, pendant une session, à moins des deux tiers des scrutins publics auxquels il a été procédé (…)  entraîne une retenue du tiers de l’indemnité de fonction pour une durée égale à celle de la session ; si le même député a pris part à moins de la moitié des scrutins, cette retenue est doublée »). J’imagine que le dispositif radical donc efficace consisterait à décréter que le traitement du député sera proportionnel à sa présence dans l’hémicycle : s’il assiste à 100% des séances il a 100% de son traitement, s’il assiste à 75% des séances il a 75% de son traitement, et ainsi de suite. Parfait, n’est-ce pas ? Mais que faire des députés de l’étranger, des députés ultra-marins ? Faire le trajet depuis la Guyane ou la Polynésie française n’est quand même pas faire le trajet depuis le Calvados ou la Drôme. Il faut donc ici une première entorse au règlement que nous venons à peine d’instituer. Faut-il toutefois compter le temps en commission comme du temps de présence ? Bien sûr que oui, le député ayant l’obligation de s’affilier à une commission. Ajoutons à cela le temps en circonscription – il faut bien être présent à sa permanence si l’on veut des remontées de terrain – et le temps passé à rendre visite à tel ou tel organisme. Donc nouvelle entorse, c’est le temps « effectif » de député qui servira de base pour le calcul de son traitement : visiter une prison c’est du temps utile ; inaugurer une crèche, non ? Nous voyons que de fil en aiguille notre député est finalement bien souvent député.
Ceci réglé ou presque qu’attendre de notre député une fois celui-ci dans l’hémicycle ? Qu’il assiste seulement aux séances ou bien qu’il participe au débat ? Car si sa seule signature sur un registre suffit pour rassurer les démagogues (« Le député inscrit sur le registre public (…) est considéré comme étant présent en séance publique ») nous n’aurons pas fait le grand bond démocratique attendu.
Prenons en exemple les questions hebdomadaires au gouvernement. Depuis le nouveau règlement – mis en place il y a tout juste un an – ce sont 26 questions en deux heures qui sont posées aux différents ministres chaque mardi. 26 questions par semaine pour 577 députés revient à dire que si chaque député doit poser une question à son tour il ne peut le faire que toutes les 22 semaines, une fois tous les cinq mois. Etrangement, diviser par deux le nombre de députés n’aura ici aucune conséquence pratique puisque le principe des questions au gouvernement est détaché du nombre de députés. Il est plutôt relié au nombre de groupes parlementaires et plus précisément à la couleur politique des groupes. En effet, plus de la moitié des questions sont reservées de droit à des groupes d’opposition.
En conséquence réduire l’assemblée nationale à 289 députés impliquera d’aussi changer les règles qui régissent la composition d’un groupe parlementaire. Si l’on divise par deux le nombre de députés alors il faut aussi diviser par deux le nombre nécessaire pour créer un groupe parlementaire, c’est la logique même. Si aujourd’hui 15 députés suffisent pour créer un groupe, demain il ne devront être que 7 ou 8 ? Beaucoup se plaignent du trop grand nombre de groupes dans l’hémicycle et diviser par deux le nombre de députés ne changera rien à ce fait, loin de là. Ou alors il faut maintenir le nombre actuel de 15 députés pour un groupe tout en divisant par deux le nombre de députés élus ? Mais cela serait encore pire ! Car la réduction du nombre des circonscriptions va nécessairement pénaliser les candidats de l’opposition et mettre en danger les groupes avec actuellement une vingtaine à peine de députés ; je pense particulièrement aux groupes GDR et LFI. Quant au Rassemblement National aujourd’hui sans groupe, il devra réaliser un score considérable pour avoir 15 députés sur 289 là où il n’avait réussi aux dernières législatives à en avoir que 5 sur 577.
Ainsi, en vertu du principe démagogique que nous suivons coûte que coûte, changeons les règles des élections législatives ; passons à la proportionnelle intégrale par exemple. Convenons en préambule que la proportionnelle intégrale revient à dire à l’électeur qu’il ne votera plus pour élire « son » député mais qu’il votera pour une liste politique. Admettons. Obtenir 10% des voix c’est envoyer 29 députés à l’assemblée nationale, de quoi constituer facilement un groupe. Mais où fixer le seuil minimal pour devenir député ? A 5% ? Ou alors pas de seuil et 1/289ème des voix au niveau national permettra d’envoyer siéger un député ? Décidément, nous voyons que réduire le nombre de député n’est pas si simple que cela.
Voulant poursuivre mon analyse je vais dire que les obstacles sont levés. Peu importe le mode d’élection, peu importe ces histoires de groupes parlementaire, nous avons enfin 289 députés qui siègent en séance, point. Dès lors comment organisons-nous le débat ? Prenons un texte emblématique, le PLF, le projet de loi de finances. Les démagogues doivent le savoir aussi bien que moi, c’est LE texte de loi par excellence puisqu’il s’agit de voter le budget du pays. L’opposition doit avoir droit au chapitre, il n’y a pas de raison. Il faut donc par effet miroir savoir compter le temps de parole de la majorité puisqu’autrement il est impossible de savoir qui a parlé plus que l’autre. Cela n’est décidément possible qu’avec la notion de groupe : par ce biais le député déclare s’il est député de la majorité ou député de l’opposition. Notez la position intenable des « non inscrits » : par choix délibéré ou par manque de député en nombre leurs prérogatives sont réduites au strict minimum : une question au gouvernement par trimestre, 5 minutes à la tribune pour la discussion générale, pas plus de 20 en moyenne lors de l’examen d’un texte de loi sous le régime du temps partagé. Il serait curieux d’obliger un député à s’affilier coûte que coûte à un groupe aussi cette notion de « député non inscrit » doit-elle rester. Concédez toutefois que réformer cette partie de la vie parlementaire n’a rien à voir avec le nombre total de députés présents à l’assemblée nationale.
Poursuivons donc les débats sur notre PLF. En quoi ceux-ci seraient différents avec deux fois moins de députés qu’aujourd’hui ? Comment imaginer que l’obligation de présence va améliorer la qualité du débat ? Un député ne prend la parole ou ne propose d’amendement que s’il ressent un intérêt à le faire. Et sur ce point précis aucun des 577 députés actuels n’est bridé. Si sur un texte a priori consensuel les choses se passent assez vite qu’en est-il de notre PLF nouvelle formule ? Deux fois moins de députés ce ne sera sans doute pas un temps de discussion divisé par deux. Ici il n’y a rien à gagner ou à économiser. Ajoutons que d’un point de vue strictement politique seuls les députés de l’opposition devraient être assidus car finalement leur vote compte plus que celui de la majorité ! Car à quoi «sert» un député de la majorité qui ne prend pas part aux débats à part voter les textes présentés ? Pour raccourcir mon propos je vais dire qu’il est là pour faire le nombre. C’est à l’opposition d’être présent tout le temps, histoire de faire pression sur les députés de la majorité et les obliger à être présent.
Nous devons donc déduire de tout ceci que le temps en séance reste déconnecté du nombre de députés, que ceux-ci soient présents ou pas dans l’hémicycle. Je me permets d’ajouter que – 577 députés ou 289 députés – n’aurait absolument rien changé au nombre de députés qui ont examiné la semaine dernière le projet de loi portant « prorogation du régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire » car n’étaient présent que ceux qui souhaitaient s’exprimer, ne l’oublions pas. Que chacun demande plutôt à son député*** pourquoi il n’a pas jugé bon de regarder ce texte, d’autant qu’il y avait largement matière à l’amender.

Il ne reste plus qu’un argument à regarder, le plus sensible : celui du budget. C’est simple et de bon sens, diviser par deux le nombre de députés c’est diviser par deux le budget de l’assemblée nationale, c’est donc une économie substantielle et une enveloppe qui serait mieux utilisée dans la santé ou dans l’éducation. Substantielle en valeur absolue oui, cela ne fait aucun doute. Mais en valeur relative ? Bah, la démagogie se moque de la valeur relative, ce qui compte c’est la valeur absolue. Commençons par regarder les chiffres : « L’Assemblée nationale c’est 577 députés, 2100 collaborateurs (…), 1237 fonctionnaires et contractuels(…). Le budget initial de 2019 prévoyait 568,14 M€ de dépenses. ».
Diviser par deux le budget de l’assemblée nationale c’est tout de suite plus de 280M€ pour l’éducation ou la santé. Nous répartissons cela à 50/50 ou tout pour l’un et rien pour l’autre ? En fait peu importe le montage car la démagogie d’une assemblée nationale réduite à sa portion congrue montre vite ses limites: le budget de l’éducation nationale est de 76 milliards d’Euros, celui consacré à la santé est d’environ 28 milliards d’Euros. Y injecter quelques centaines de millions d’euros supplémentaires ne donnera pas l’oxygène nécessaire****. Alors oui, je considère que diviser par deux le nombre de députés c’est « tout ça pour ça ».

 

* Comme à chaque fois sur ce blog le féminin est implicite.
** Sur le texte en question je pourrais répondre que – si les députés étaient 50 – les spectateurs sur Internet n’étaient guère plus nombreux. Je pourrais donc en retour critiquer à bon droit celles et ceux qui s’offusquent de l’absentéisme parlementaire sans être présent eux-même devant leur écran au moment du vote.
*** Interroger « son député » ne sera plus possible avec un vote à la proportionnelle.
**** J’en veux pour preuve que lorsqu’on présente un plan de cette ampleur, les critiques fusent : « C’est une aumône ! »

 

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