La prison, rien que la prison et toute la prison ?

M. Ian Boucard, député du groupe LR, a déposé sur le bureau de l’assemblée nationale une proposition de loi (N° 3799) visant à supprimer les réductions de peines automatiques.
Je prends la plume pour exprimer ici mes réticences, toutes individuelles puisque n’étant mêlé ni de près ni de loin au monde judiciaire.
Dans l’exposé des motifs le député explique qu’ « En effet, ces crédits de réductions de peines sont accordés de droit à chaque personne condamnée et ils sont directement calculés en fonction de la durée de la condamnation prononcée. De ce fait, un détenu peut, dès sa condamnation, connaître la durée de la peine qu’il n’effectuera pas en prison. » (c’est moi qui souligne).
Je dois hélas d’entrée de jeu contredire cet argument puisque l’article 721 du code de procédure pénale stipule que « Lors de sa mise sous écrou, le condamné est informé par le greffe de la date prévisible de libération compte tenu de la réduction de peine prévue par le premier alinéa (…). Cette information lui est à nouveau communiquée au moment de sa libération. »
Autrement dit ce n’est pas le détenu qui peut connaître le temps de réduction de peine auquel il peut prétendre mais c’est l’administration pénitentiaire qui est tenue par la loi de lui communiquer cette information. La nuance est de taille, convenez-en.
M. Boucard poursuit : « Si l’individualisation des peines est un principe fort du droit pénal français, qui plus est à valeur constitutionnelle, force est cependant de constater qu’il ne s’applique pas aux remises de peines puisque ces crédits sont accordés automatiquement à chaque détenu. »
Sauf qu’à lire la loi, il n’est pas du tout question d’automaticité, contrairement à ce que le député laisse entendre. Ainsi, le juge de l’application des peines « peut également ordonner le retrait [de la réduction de peine] lorsque la personne a été condamnée pour les crimes ou délits, commis sur un mineur, ou commis à l’encontre de son conjoint, de son concubin ou du partenaire lié à elle par un pacte civil de solidarité de meurtre ou assassinat, torture ou actes de barbarie, viol, agression sexuelle ou atteinte sexuelle et qu’elle refuse pendant son incarcération de suivre le traitement qui lui est proposé par le juge de l’application des peines, (…). Il en est de même lorsque le juge de l’application des peines est informé (…) que le condamné ne suit pas de façon régulière le traitement qu’il lui a [été] proposé. Il peut également ordonner, après avis médical, le retrait lorsque la personne condamnée (…) refuse les soins qui lui sont proposés. » Nous le voyons, les cas de retrait sont nombreux et surtout, clairement énumérés.
Je me dois d’ajouter que cet article 721 prévoit aussi qu’ « En cas de mauvaise conduite du condamné en détention, le juge de l’application des peines peut être saisi par le chef d’établissement ou sur réquisitions du procureur de la République aux fins de retrait, à hauteur de trois mois maximum par an et de sept jours par mois, de cette réduction de peine.« . Donc non, définitivement non, ces crédits ne sont pas accordés automatiquement à chaque détenu.
Les récidivistes sont par ailleurs davantage pénalisés – si je peux me permettre ce qualificatif – par rapport à un condamné qui effectuerait une première détention : « En cas de nouvelle condamnation à une peine privative de liberté pour un crime ou un délit commis par le condamné après sa libération pendant une période égale à la durée de la réduction résultant des dispositions du premier alinéa et, le cas échéant, du deuxième alinéa du présent article, la juridiction de jugement peut ordonner le retrait de tout ou partie de cette réduction de peine et la mise à exécution de l’emprisonnement correspondant, qui n’est pas confondu avec celui résultant de la nouvelle condamnation. »
Au vu de sa présente rédaction mais surtout à la lecture de l’exposé des motifs, je ne vois plus trop ce que l’on peut reprocher à cet article 721 pour en réclamer l’abrogation. Ou plutôt si, je vois très bien : les signataires1 ne veulent plus entendre parler de ce crédit de réduction de peine, quitte à avoir une interprétation fantaisiste de l’article 721. Las, ils ne pouvaient pas dans l’exposé des motifs invoquer leur seule conviction – j’allais écrire leur idéologie – pour réclamer l’abrogation de cet article. Ils ont préféré tenter de démontrer qu’il était mal écrit, démonstration que je considère ratée.
Mais allons sur leur terrain pour un instant : Ce qu’ils souhaitent, c’est qu’un détenu condamné à par exemple trois ans de prison soit bel et bien trois ans en prison, dont acte. Ils oublient pourtant une donnée essentielle : bien se conduire en prison ne va pas de soi pour un détenu. Dans la grande majorité des cas le détenu est convaincu de son innocence ou à tout le moins convaincu qu’il paie trop cher une faute pas si grave que cela. Sa logique le pousse alors à en vouloir à la société en général mais il ne peut reporter sa haine qu’envers son environnement immédiat, autrement dit envers le personnel pénitentiaire voire ses co-détenus. Le seul moyen de motiver le détenu à bien se comporter est de lui expliquer que sa bonne conduite réduira quelque peu sa peine, d’où l’article 721 du code de procédure pénale.
Pour autant et pour aussi incroyable que cela puisse paraître il n’existe aucun chifre sur lequel s’appuyer et c’est là tout le problème pour évaluer l’efficacité ou pas de cette disposition. Sait-on dire combien de jours représente l’application effective de l’article 721 ? Non. A l’inverse sait-on dire combien de crédit de réduction de peine ont été retiré au cours d’une année, d’un trimestre ? Non plus. Ces informations existent mais détenu par détenu, il n’y a ensuite aucune agrégation, que ce soit par maison d’arrêt ou pour l’ensemble des prisons. Nous devons donc conclure que nous sommes en terra incognita et que la demande de l’abrogation de l’article 721 repose avant tout sur la conviction qu’elle est avantageuse pour le détenu, voire néfaste pour la société aux yeux des signataires.
J’ai eu l’occasion de l’écrire sur Twitter, nous manquons de données statistiques sur la détention. Savons-nous dire combien de détenus sortent chaque jour de nos prisons ? Non. Quelle est la part des détenus ayant un diplôme, ne serait-ce qu’un CAP ou un BEP ? Figurez-vous que personne n’en sait rien. La seule statistique disponible est celle du nombre total de détenus dans les prisons françaises, c’est tout. Le ministère de la justice serait également bien en peine – sans jeu de mot – de nous dresser le tableau du nombre de détenus par incrimination : tant pour trafic de drogue, tant pour escroquerie, tant pour assassinat, etc.
Commençons donc par avoir une vision précise et quantifiée – donc indiscutable – de l’état de la détention en France et regardons ensuite où et comment serait-il possible d’améliorer les choses. En tout état de cause la première étape n’est sûrement pas l’abrogation du système de crédit de réduction des peines.

Mise à jour, 3 mars 2021 : Un lecteur m’a signalé l’existence de statistiques diffusées par le ministère de la justice où l’on retrouve en effet le nombre de détenus par catégorie d’incrimination. La statistique consacrée à l’éducation est par contre trop imprécise puisqu’il est impossible de connaître le nombre de détenus diplômés.

1Outre Ian Boucard, Jean‑François Parigi, Laurence Trastour‑Isnart, Julien Dive, Pierre Vatin, Fabien DiI Filippo, Thibault Bazin, Sylvie Bouchet Bellecourt, Emmanuel Maquet, Julien Aubert, Alain Ramadier, Jean‑Claude Bouchet, Constance Le Grip, Fabrice Brun, Patrick Hetzel, Nathalie Porte, Pierre Cordier, Josiane Corneloup, Dino Cinieri, Anne‑Laure Blin, Brigitte Kuster, Bernard Reynes, Valérie Beauvais, Didier Quentin, Marc Le Fur, Éric Pauget, Bernard Perrut, Jean‑Luc Reitzer, Charles de la Verpillière, Annie Genevard, Rémi Delatte, Bérengère Poletti, Michel Herbillon, Virginie Duby-Muller, Valérie Bazin‑Malgras et Nathalie Serre sont également signataires de cette proposition de loi.

À propos de VincentB

"Né citoyen d'un Etat libre, (...) quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d'y voter suffit pour m'imposer le devoir de m'en instruire" [Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social]
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