Poker menteur

Tout le monde ou presque a désormais entendu parler de la proposition de loi du groupe LIOT « abrogeant le recul de l’âge effectif de départ à la retraite et proposant la tenue d’une conférence de financement du système de retraite,». Aujourd’hui avait lieu son examen par la commission des affaires sociales. Mais pour le suiveur que je suis des travaux de l’assemblée nationale je dois reconnaître que nous avons là un nouveau cas d’école qui sans doute fera date.
Essayez de suivre avec moi cette partie de poker menteur. Poker à cause du « bluff » et menteur puisque je suis bien obligé de constater que certains groupes parlementaires et le gouvernement tour à tour font l’inverse de ce qu’ils annoncent vouloir faire.
Tout a bien entendu commencé avec le « projet de loi rectificatif du budget de la sécurité sociale » qui ne rectifiait pas le budget de la sécurité sociale mais engageait la réforme des retraites. Tout le monde s’est plaint de ne pas avoir assez de temps pour débattre. L’opposition d’abord en accusant le gouvernement d’utiliser l’article 47 alinéa 1 à l’appui du texte. La majorité* ensuite en accusant l’opposition d’avoir déposé près de 20 000 amendements pour ne pas avoir à voter le texte. Cela s’est donc terminé par un texte réputé voté (article 49 alinéa 3) puisque la motion de censure déposée en application de ce même article de la constitution n’a pas obtenu la majorité absolue. Je me permets d’ajouter que – dès sa discussion en commission puis en séance – tout le monde savait que l’article 2 instituant l’index sénior serait rejeté par le conseil constitutionnel. Cela n’a pas empêché l’opposition parlementaire de déposer des amendements et d’en débattre alors que le bon sens commandait de dire « je sais que cet article sera rejeté par le conseil constitutionnel il est donc inutile d’en parler, que ce soit en bien ou en mal ». Une fois notre PLFRSS passé sous les fourches caudines du conseil constitutionnel, il a été promulgué dans la nuit qui a suivi et permis de créer une nouvelle polémique, polémique inutile et parfois oiseuse**.
Nouvelle passe d’armes « post-mortem » sur le thème « mais oui nous voulions voter ce texte, c’est vous qui avez tout fait pour que ce ne soit pas le cas ». Vous noterez que – majorité ou opposition – vous pouvez employer cette phrase sans en changer un seul mot.
Là-dessus le groupe LIOT décide de déposer une proposition de loi pour revenir sur le PLFRSS et l’inscrit à l’ordre du jour de sa niche parlementaire. « Coup dur » pour la majorité car l’article 49 alinéa 3 ne peut s’appliquer que sur des projets de loi et non sur des propositions de loi. Au moment de son dépôt j’avais en tête la séance de la niche parlementaire du groupe LFI, qui avait donné lieu à des débats houleux et des passes d’armes savoureuses puisque le gouvernement en personne avait joué la montre pour ne pas voir certain texte être voté et que dans la même journée le groupe LFI avait retiré au dernier moment un texte qu’il avait pourtant mis à son ordre du jour, exprès pour qu’il ne soit pas voté.
Mais revenons à la PPL LIOT. Comme toute PPL qui se respecte elle est correctement gagée. Je n’ai pas l’intention de croiser le fer avec des constitutionnalistes mais à mes yeux de citoyen une PPL gagée est une PPL qui peut être débattue. Exception à ce principe, on ne gage pas les dépenses pour recouvrer une taxe par les recettes espérées de ladite taxe, ce que certains députés ont oublié.
Donc à mes yeux cette polémique autour de l’article 40 n’avait pas lieu d’être. Tout au plus le gouvernement peut-il jouer au mauvais perdant et décider contre tout usage de ne pas lever le gage ! Ce qui en cas de politique fiction consistant à imaginer cette PPL LIOT votée et promulguée, mettrait sur le prix du tabac une taxe que l’on peut estimer à plusieurs centaines de pourcents. Mais c’est là de la fiction et revenons au texte.
Le piège pour la majorité et pour le gouvernement c’est le vote. Car quand bien même cette PPL n’irait pas au bout de son parcours législatif un seul vote favorable suffit et le PLFRSS est dépeuplé oserais-je dire. Rappelons que ce premier vote n’emporte rien si ce n’est sa transmission d’office au Sénat qui peut mettre ce texte dans un tiroir et l’oublier pour longtemps. Et quand bien même il serait examiné, le Sénat – dont la composition est majoritairement à droite – amputerait ce texte de son article 1. Bref, tout ça pour dire que – victime de la navette – les chances d’une PPL d’un groupe ne se revendiquant pas de la majorité gouvernementale n’a aucune chance d’être adoptée***.
Ce serait un séisme politique pour ce gouvernement si jamais la PPL du groupe LIOT recevait – même une seule fois – un vote favorable d’une chambre. Voilà pourquoi la polémique autour de l’article 40 a pris de l’ampleur. Le gouvernement ne veut pas que ce texte soit voté.
Nous arrivons donc à l’examen du texte par la commission des affaires sociales. Comme annoncé par certains médias le gouvernement avait enfin trouvé la bonne parade : faire voter en commission la suppression de l’article 1er pour obliger le groupe LIOT a le redéposer en séance****. Pourquoi donc ? Parce qu’en séance l’article 40 a plus de force, et ce devait être la présidente de l’assemblée nationale qui devait l’utiliser.
Donc à 9h29 ce 31 mai 2023 nous avons une majorité qui veut voter la suppression de l’article 1er et une opposition qui veut voter le texte. Sauf que tout à coup l’opposition réalise que ce sera peut-être tout le texte qui sera abrogé. En effet si la commission vote la suppression de l’article 1 puis la suppression de l’article 2 alors il n’y a plus rien à voter en séance le 8 juin. Alors l’opposition décide au dernier moment de déposer des milliers d’amendements pour que la commission n’ait pas le temps matériel d’examiner le texte.
En effet le règlement est formel : si un texte n’est pas voté en commission ce n’est pas grave (je schématise), il sera disctuté en séance tel qu’il était présenté en commission.
Et voilà pourquoi l’opposition ne voulait plus voter ce texte après avoir accusé le gouvernement de pas vouloir aller jusqu’au vote de ce texte.
Une vraie partie de poker menteur, n’est-ce pas ?

* Par « majorité » j’entends majorité gouvernementale. Parenthèse pour dire ici que si nous vivons ces instants inédits dans cette législature c’est parce que la majorité gouvernementale ne possède pas la majorité à l’assemlée nationale. C’est donc par raccourci sémantique que je continuerai d’écrire « majorité ».
** Certains opposants en ont même oublié que le journal officiel n’était plus imprimé sur papier depuis maintenant sept ans…
*** Je nuance car c’est tout l’un ou tout l’autre et il est arrivé qu’une PPL de l’opposition soit adoptée. Mais lorsque cela arrive c’est très souvent à l’unanimité des voix, preuve qu’il n’était pas question de débat mais de vote.
**** Ce n’est pas du tout le sujet de ce billet de blog mais j’avoue qu’après des années de suivi des débats à l’assemblée nationale je n’ai toujours pas compris l’apport législatif de l’examen d’un texte en commission. Je persiste à penser que cela fait un doublon inutile avec le débat en séance.

 


 

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Lettre ouverte à M. William Martinet

M. le député,

Comme premier signataire vous avez déposé sur le bureau de l’assemblée nationale une proposition de loi « visant à prendre des mesures d’urgence pour protéger les locataires de la hausse des loyers et des charges ». Permettez-moi de vous interpeller sur l’article 5 qui d’après l’exposé des motifs « vise à abolir les coupures d’énergie et les limitations de puissance de la part des fournisseurs d’énergie ». Plus particulièrement, vous proposez une nouvelle écriture du troisième alinéa de l’article L. 1153 du code de l’action sociale et des familles qui, selon mon interprétation instaure ni plus ni moins qu’une forme de gratuité de la fourniture d’énergie aux ménages.
La formulation actuelle de cet alinéa est la suivante : « Du 1er novembre de chaque année au 31 mars de l’année suivante, les fournisseurs d’électricité, de chaleur, de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l’interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles. Les fournisseurs d’électricité peuvent néanmoins procéder à une réduction de puissance, sauf pour les consommateurs mentionnés à l’article L. 124-1 du code de l’énergie. Un décret définit les modalités d’application du présent alinéa. Ces dispositions s’appliquent aux distributeurs d’eau pour la distribution d’eau tout au long de l’année. »
Voici votre formulation telle que nous la trouvons dans votre proposition de loi : « Les fournisseurs d’électricité, de chaleur, de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l’interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles. Les fournisseurs d’électricité ne peuvent procéder à une réduction de puissance ne garantissant pas des conditions convenables d’existence. Un décret définit les modalités d’application du présent alinéa. »
Afin de bien situer mon propos prenons l’exemple d’un ménage qui n’honore plus ses factures liées à la fourniture d’énergie, qu’importe la raison. Aujourd’hui il est possible pour le fournisseur – après avoir épuisé les autres recours – de résilier le contrat en dehors de la période qui cours « du 1er novembre de chaque année au 31 mars de l’année suivante ». Mais pour éviter d’en arriver à cette solution radicale il peut « néanmoins procéder à une réduction de puissance ».
Imaginons maintenant que votre article 5 entre en vigueur. Qui aurait obligation de payer ses factures de fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz ? A priori plus personne car en vertu de la nouvelle rédaction du troisième alinéa de l’article L. 1153 du code de l’action sociale et des familles, les fournisseurs d’énergie ne pourront plus « procéder (…) à l’interruption (…) pour non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz », et ce en tout temps et tout le temps. En outre les « (…) fournisseurs d’électricité ne peuvent procéder à une réduction de puissance ne garantissant pas des conditions convenables d’existence ». Permettez-moi de souligner ici comme une évidence que lorsqu’un ménage souscrit un contrat d’énergie pour sa résidence principale c’est pour obtenir « des conditions convenables d’existence ». En contrepartie ces mêmes ménages s’engagent à payer pour le service rendu.
Or avec un tel alinéa 3 dans l’article L. 1153 du code de l’action sociale et des familles, ces « conditions convenables d’existence »  ne dépendraient plus du paiement ou du non paiement des factures puisque le fournisseur ne pourra plus « procéder à une réduction de puissance ». Dès lors qui trouverait un intérêt quelconque à continuer de payer ? Où placez-vous dans votre texte la « peur du gendarme » qui incite un ménage – a fortiori aisé – à régulièrement payer ses factures d’énergie ?
Ainsi, face à ces interrogations vous voudrez bien préciser dans le cadre de votre proposition de loi les recours que vous donnez aux fournisseurs d’énergie en cas de « non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz ». Plus globalement, vous voudrez bien expliquer en quoi l’article 5 de votre proposition de loi n’instaure pas la fourniture gratuite d’électricité, de chaleur ou de gaz dans les résidences principales.

Je vous prie d’agréer, M. le député, l’expression de ma très haute considération.

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Mes idées pour le logement

L’assemblée nationale par l’intermédiaire de sa présidente lance « l’assemblée des idées ». C’est dans ce cadre qu’aura lieu le 15 novembre un débat intitulé : « Logement : qu’est-ce qu’on a pas encore tenté ». Sensible à ce sujet je veux ici répondre à la question du débat et suggérer – fort modestement – quelques pistes.
Partant du constat que pour toute une catégorie de population il n’existe rien entre le HLM et le squat je souhaiterais voir combler cette lacune. La piste à explorer est celle du logement à partir de conteneurs, de part sa facilité à être mise en oeuvre et de part son coût, finalement modeste. En tenant compte des expériences déjà en place je suis sûr qu’il est possible de proposer des logements pour des foyers qui ne trouvent pas à se loger en HLM mais qui disposent d’un revenu, même fort maigre. A l’image des maisons à 100 000 Euros* je verrais d’un bon oeil des logements à 100€ de loyer. Au-delà de cette idée le principe même du logement à partir de conteneurs ne doit plus rester une expérience, il faut passer à l’échelon supérieur et développer cet usage.
Autre proposition qui n’a pas encore été tenté, celle relative au paiement du loyer en HLM. Il n’est pas normal – et je parle là d’un cas qui me touche de près – il n’est pas logique donc de payer son loyer durant 49 ans sans rien obtenir en retour. Partant de ce constat je milite pour que tout ménage qui occupe 30 ans le même appartement puisse soit en devenir propriétaire soit – amendement de repli – n’en plus payer que les charges. Si les HLM sont devenus des trappes à ghetto c’est aussi parce que les ménages qui en ont tout à coup les moyens quittent leur logement pour le parc privé, laissant la place à un ménage qui lui n’a pas les moyens d’aller ailleurs. Il faut aussi reconnaître qu’un ménage qui reste 20, 25 ou 30 ans dans le même logement peut légitimement se sentir « chez lui ». Il serait normal d’un simple point de vue de bon sens qu’il cesse de payer un « loyer » et qu’il ne paie que les charges. Deux solutions se présentent alors. La première consiste à dire qu’après 30 ans de loyers (360 versements…) le ménage est propriétaire de son logement. Il ne pourrait ni le vendre ni le louer, seulement le donner à sa descendance. En cas de décès ou de départ volontaire l’office HLM serait tenu de le racheter selon un montant spécifique connu à l’avance par les deux parties**. Bien entendu la loi devrait être adaptée afin de tenir compte de ce nouveau cas de figure (les HLM ne sont pas une copropriété). La seconde solution consiste à dire qu’après 30 ans le ménage ne paie plus de loyer, seulement des charges. C’est une solution plus simple à mettre en oeuvre mais qui reste dans la lignée de ce que je décris.
Concernant les loyers (les « termes ») je souhaiterais que la loi évolue. Aujourd’hui il n’est pas possible de payer d’avance, or je ne vois pas pourquoi cela devrait continuer d’être interdit. Ainsi des parents pourraient payer au bailleur 12 loyers d’avance pour le fils ou la fille qui étudie. Là aussi je distingue loyer et charges, ces dernières sont à exclure de cette disposition. Ou bien encore, un ménage déjà installé qui recevrait un supplément de revenu (je pense à un héritage) pourrait outre son placement décider d’avancer au bailleur x mois de son loyer.
Dernière remarque enfin, à propos de l’avance sur loyer délivrée par les CAF. Si l’idée de départ était bonne il faut désormais reconnaître que ce système est totalement dévoyé. Au lieu de rassurer les propriétaires il est devenu une source de revenu pour les marchands de sommeil qui trouvent là un moyen légal de s’enrichir. C’est une disposition que je souhaite voir disparaître au plus vite.

En résumé :

  • qu’est-ce qu’on a pas encore tenté : le logement « officiel » à partir de conteneurs
  • qu’est-ce qu’on a pas encore tenté : le fait d’être propriétaire de son logement HLM après 30 années
  • qu’est-ce qu’on a pas encore tenté : le fait de payer d’avance ses loyers
  • qu’est-ce qu’il faudrait tenter : Supprimer l’avance sur loyer des CAF.

* Je sais que l’expérience a été un échec. Je sais aussi à quoi est dû cet échec, au fait que la responsabilité de l’état s’est arrêtée au chèque et qu’il n’a été fait ensuite aucun contrôle de l’usage de cet argent. Les professionnels du métier ont dilapidé l’idée en pratiquant des économies sur tout ce qu’il était possible d’économiser. On est passé de bonne idée à gâchis.
** Du jour où le ménage est propriétaire de son logement il en connaît sa valeur de rachat par l’office HLM. Ce montant, révisé annuellement à partir de l’IRL, est porté à sa connaissance au travers de la quittance de loyer.

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La non-surprise du 49.3

Beaucoup s’en étonnent mais l’accumulation des « 49.3 » par le gouvernement devrait être tout sauf une surprise. Il est tentant d’y voir une manoeuvre politique mais l’analyse démontre qu’il n’en est rien. Celui qu’il faut accuser en premier de cette situation porte un nom étrange : il s’appelle « résultat de l’élection législative de Juin 2022 ». Remontons quelques mois en arrière et regardons la composition de l’assemblée nationale. Nous le savons tous, le gouvernement n’a pas de majorité absolue ; il n’a qu’une majorité relative puisque ses voix – sans atteindre 289 – restent plus élevées que celles des oppositions. Je fais bien attention de dire « les » oppositions car il y en a trois. Il y a l’opposition de l’intergroupe NUPES (151 députés), l’opposition du groupe RN (89 députés) et l’opposition que je qualifierais de droite (LIOT et LR, 82 députés). Parler d’ « une » opposition n’a pas de sens car si cela était vrai c’est elle qui aurait la majorité absolue (151+89+82 > 289). Face donc à ces oppositions la majorité présidentielle est de 251. Voici pour les données initiales sur lesquelles s’appuyer.
Si depuis le début de la XVIème législature des textes ont pu être votés sans invoquer l’article 49 alinéa 3 de notre constitution c’est que les oppositions n’ont encore jamais fait bloc. A chaque fois l’abstention d’un ou de plusieurs groupes donnait au gouvernement la majorité des voix. Alors pourquoi est-ce différent ici ?
Cela n’a pas été assez souligné par les éditorialistes et les commentateurs de la vie politique mais le PLF – et par extension le PLFSS – n’est pas un texte comme les autres, quand bien même il suit le même chemin législatif. Comme je l’ai déjà écrit il est le marqueur du positionnement politique de chaque groupe de l’assemblée nationale. Voter le PLF c’est affirmer supporter le gouvernement. Ne pas le voter c’est s’opposer à ce même gouvernement.
La grande différence avec les textes de loi que je qualifierais d’ordinaires vient de ce que l’abstention n’y joue pas du tout le même rôle. On ne s’abstient pas sur un PLF – jamais – car s’abstenir revient à le voter. Il y a comme une obligation politique de se dévoiler en votant soit « pour », soit «  contre ». Voilà la raison première qui explique le passage au 49.3. Il n’existe pas de demi-mesure sur un PLF et pour détourner quelque peu l’adage « celui qui est contre moi n’est pas avec moi ».
Pour l’intergroupe NUPES la question ne se pose même pas ; opposant farouche à tout ce qui touche de près ou de loin le gouvernement son vote « contre » est connu depuis Juin. Même remarque pour le groupe RN puisque sa présidente de groupe était présente au second tour de l’élection présidentielle. On ne l’imagine pas plus que la NUPES voter un PLF, quel qu’il soit. Nous voici donc avec 240 voix « contre ». Je rappelle qu’en face nous avons 251 voix « pour », ce qui donne 11 votes d’avance mais sans avoir encore examiné les intentions des groupes LIOT et LR. Ce sont eux les « faiseurs de roi », et de leur position dépend le destin du PLF. Qu’ils s’abstiennent et le texte passe, ils n’ont même pas besoin d’explicitement voter « pour ». Seulement voilà, si le PLF est voté ce sera grâce à eux et par voie de conséquence cela les placera de facto comme soutient actif du gouvernement. La nuance que peut représenter l’abstention étant gommée par l’importance du texte examiné le choix est binaire : oui, non ; pour, contre.
C’est pourquoi la composition intiale de l’assemblée nationale est la cause principale du 49.3. Le contenu même du PLF est ici secondaire. Je vais plus loin : imaginer un PLF bâti afin obtenir le « pour » des groupes LIOT et LR et donc éviter tout 49.3 nécessiterait bien plus que des ajustements. Il faudrait d’autres preuves politiques comme par exemple la nomination de ministres en provenance de ces groupes. Bref cela reviendrait à transformer la majorité relative en une majorité absolue, ce qui n’est pas envisageable.
En poussant mon raisonnement jusqu’au bout j’ai envie de dire heureusement que le 49.3 existe car autrement nous serions dans une impasse institutionnelle. La France n’a pas la culture du compromis que l’on connaît dans d’autres pays, la réticence à changer le code électoral pour une élection des députés à la proportionnelle en est la preuve. Pour revenir à mon explication le PLF ne peut pas être voté en l’état, dont acte. Mais quel groupe se dévouerait pour aider le gouvernement à faire passer ce texte ? Ce dernier ne peut regarder que sur sa droite, vers les groupes LIOT et LR. Le parti socialiste est de son coté attaché à l’intergroupe NUPES ce qui lui interdit toute amorce de dialogue en solitaire. Qui pour dire « Oui nous votons le PLF mais non, nous ne sommes pas avec le gouvernement » ? Un tel discours est juste impensable. On ne peut donc sortir de cette situation de blocage que par le 49.3. Le constituant l’a d’ailleurs prévu et si la réforme constitutionnelle de 2008 a fortement réduit les possibilités d’user de cette disposition, elle est explicitement restée pour le PLF et le PLFSS. Quelles conclusions tirer de cet épisode ?
Premièrement qu’il était inéluctable de voir le 49.3 débarquer dans l’hémicycle, pour les raisons que je viens d’évoquer. Ensuite que si l’assemblée nationale reste composée de la sorte nous retrouverons les mêmes séquences, PLF après PLF. La dernière conclusion est que – finalement – la majorité absolue ça a parfois du bon, du moins tant que n’existe pas dans vos rangs des frondeurs. C’est d’ailleurs l’esprit originel du 49.3 car la Vème république a été créé pour une assemblée essentiellement majoritaire. Il s’agissait avant tout de forcer la main de ses amis*, pas d’imposer un texte à ses opposants.
En tout état de cause l’idée d’une dissolution de l’assemblée nationale va fatalement faire son chemin dans l’esprit du président de la république, autrement nous vivrons l’an prochain, dans deux ans et dans trois ans les mêmes cris et les mêmes hurlements.


 * Sous la présidence de Nicolas Sarkozy a existé le groupe parlementaire « nouveau centre », qui avait obligation de voter les PLF. Nous étions d’ailleurs à la limite du mandat impératif.

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