Après de longues journées de tractations la France Insoumise, le parti socialiste et EELV se sont mis d’accord autour d’une plateforme commune de propositions en vue des prochaines élections législatives. Nous sommes certes loin de la majorité plurielle de Lionel Jospin ou du programme commun de Mitterrand et Marchais mais au moins la gauche avance t-elle officiellement unie, avec l’objectif d’obtenir plus de 289 députés à l’assemblée nationale. Je veux ici critiquer le communiqué publié par LFI, tant sur le fond que sur la forme.
Si au point 1) LFI et ses alliés annoncent faire barrage à Emmanuel Macron je veux corriger la manière dont est présentée la possible réforme du RSA. C’est la droite dure et elle seule qui veut l’échanger contre du temps de travail, ce que j’ai déjà dénoncé sur ce blog. Le président de la république souhaite seulement remettre à l’honneur le « A » de RSA en faisant en sorte que le bénéficiaire soit actif, par exemple en s’engageant à suivre une formation. Il n’a jamais été question à aucun moment d’emploi obligatoire mais la France Insoumise préfère l’insinuer, bataille politique oblige.
Revenons maintenant au texte. Cette alliance – a priori contre nature – s’est constituée en vue d’ouvrir « la voie à une majorité à l’Assemblée nationale ». Et le communiqué de poursuivre : « Dans cette perspective, conformément à la tradition républicaine, le Premier ministre serait issu du plus grand groupe à l’Assemblée, soit Jean-Luc Mélenchon. »
Que cette phrase est mal écrite ! Mon sentiment est qu’il fallait à tout prix caser le nom de Jean-Luc Mélenchon et associer élection législative et « élection » du premier ministre. Quant à la « tradition républicaine » elle n’existe que pour LFI. Les institutions de la Vème république sont ainsi faites que l’exécutif se doit d’être du même bord politique que la majorité parlementaire. C’est donc une « obligation constitutionnelle », nuance de taille.
J’aurais donné à cette phrase une tournure plus consensuelle et par conséquent moins insoumise. Par exemple, « Puisque le premier ministre sera issu du plus grand groupe élu à l’Assemblée, nous avons convenu de proposer Jean-Luc Mélenchon si jamais nous avions la majorité »
Au point 2) est annoncé la création de la « Nouvelle union populaire écologique et sociale ». Il s’agit de construire « un parlement de campagne rassemblant les forces politiques et des personnalités du monde syndical, associatif, culturel, intellectuel ». J’aime cette énumération qui – nous pouvons parier – ne sert à rien. Ne prenez pas cela pour une attaque directe et gratuite contre LFI puisque chaque parti politique s’engage à cela, mais la loi non-écrite du jeu électoral fera qu’à la fin nous ne trouverons que des députés « rassemblant les forces politiques » de la Nouvelle union populaire écologique et sociale. Les « personnalités du monde syndical, associatif, culturel, intellectuel » devront se contenter du statut de candidat. Aux premiers les circonscriptions gagnables, aux autres les candidatures de témoignage.
Le gros du communiqué réside toutefois dans le point 3) qui énumère le programme politique de la Nouvelle union populaire écologique et sociale. Je propose de passer en revue celles qui ont retenues mon attention.
« La revalorisation du SMIC à 1 400 euros nets et l’organisation d’une conférence sociale sur les salaires, la formation, les conditions de travail et les retraites »
L’organisation de quelque conférence que ce soit ne peut être que l’apanage du gouvernement et pas des députés. C’est peut-être technique mais j’estime qu’il a été rédigé à dessein afin de perpétuer la confusion autour de l’élection législative (« élisez-moi premier ministre ! »).
« La création d’une allocation d’autonomie jeunesse et une garantie dignité »
Anne Hidalgo avait proposé une mesure équivalente dans son programme présidentiel. Ce qu’il y a de « gauche » en moi me pousserait plutôt à explorer la piste du revenu universel sans doute à cause de son coté universel justement, autrement dit sans conditions de ressources ou d’âge.
« Le droit à la retraite à 60 ans pour toutes et tous avec une attention particulière pour les carrières longues, discontinues et les métiers pénibles »
Je signale à LFI et à ses alliés qu’il est déjà possible de partir à la retraite à taux plein à 60 ans, grâce au dispositif « carrière longue ». Si donc la Nouvelle union populaire écologique et sociale veut porter « une attention particulière pour les carrières longues », ça ne pourra être qu’en la rendant plus courte que ce qu’elle n’est aujourd’hui… Pour ce qui est des métiers pénibles je reste sur mes positions car je persiste à penser que c’est la seule voie qui puisse permettre de parvenir à un large consensus.
« Le blocage des prix des produits de 1ère nécessité »
Les plus anciens auront connu l’époque où c’était le gouvernement qui fixait le prix du pain. Si je suis conscient comme tout le monde des difficultés présentes je ne suis pas convaincu que le blocage des prix soit « la » solution, sauf à supposer que les fabricants et les distributeurs profitent de la situation actuelle pour augmenter leurs marges et par conséquent leurs bénéfices, auquel cas la hausse que nous constatons ne serait en fait qu’artificielle.
« (…) la lutte contre l’ubérisation du travail avec la présomption de salariat pour les travailleuses et travailleurs des plateformes »
C’est la mesure avec laquelle je suis le plus susceptible d’être d’accord, tout simplement parce que cette nouvelle manière de travailler est au minimum une optimisation sociale du travail. J’ajoute qu’il y a toutes les chances pour que ce type d’emploi devienne majoritaire à l’avenir, ce qui explique pourquoi il faudrait se pencher sur ce dossier sans plus attendre.
« L’affirmation d’un impératif de justice écologique, qui se décline à travers une démarche de planification, pilotée par de nouveaux indicateurs de progrès humain ainsi que la règle verte »
Que seront les « nouveaux indicateurs de progrès humain » ? Est-ce à dire que LFI et ses alliés prônent la décroissance ? J’ai le sentiment que oui. Quant à la « règle verte » j’avoue que c’est la première fois que je rencontre cette expression.
« La fin de la monarchie présidentielle avec la 6ème République et le référendum d’initiative citoyenne, et un nouveau rôle pour les collectivités locales et les mouvements sociaux, syndicaux et associatifs. »
Il y a beaucoup à dire avec ce point. La mise en place d’une VIème République (notez l’absence – volontaire ! – du chiffre romain dans le communiqué) aurait donc été approuvée par le PS et EELV ? Tout le monde sait pourtant que c’est une demande exclusive de LFI, qui n’a jusqu’à présent jamais été reprise par aucun autre parti. J’ajoute qu’en outre ce ne peut être qu’une proposition présidentielle puisqu’elle nécessitera au mieux une réforme constitutionnelle et au pire un referendum, referendum qui ne peut être qu’à l’initiative du président de la république et non pas du seul premier ministre et encore moins de l’assemblée nationale.
J’ai aussi déjà expliqué ici ma réticence à la mise en place du « référendum d’initiative citoyenne » car ce n’est à mes yeux qu’une illusion démocratique. Enfin je suis inquiet de savoir ce qu’entend LFI avec ce « nouveau rôle » que devraient jouer « les mouvements sociaux ». Suffirait-il donc de revendiquer pour obtenir ? Dit tel quel je ne peux pas déduire autre chose que cela.
« L’imposition de l’égalité salariale, consacrer 1 milliard d’euros à la lutte contre les violences faites aux femmes, allonger la durée du congé parental, et en particulier du congé paternité »
Ce sont là deux mesures qui étaient dans le programme présidentiel d’Anne Hidalgo. Sur la lutte contre les violences faites au femmes cela revient à en multiplier le budget par 20. Quant au congé paternité je rappelle que la candidate socialiste souhaitait l’imposer et pas seulement le proposer.
« La mise en place d’une fiscalité plus juste avec notamment le rétablissement de l’ISF et l’abrogation de la flat tax »
Une fiscalité plus juste consisterait plutôt à revenir au texte de l’article 13 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen («Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés»). Puisque tous les citoyens bénéficient des équipements publics il est logique que tous y contribuent selon ses moyens, ce qui veut dire que lorsque l’on est « très riche » on y contribue « beaucoup ».
« La défense de la République laïque et universaliste, la protection de la liberté de conscience et d’expression, une action résolue contre le racisme, l’antisémitisme et toute forme de discrimination et le combat contre les communautarismes et l’usage politique des religions »
Voici la mesure qui m’inquiète le plus car elle contient dans la même phrase ce qu’on pourrait appeler des injonctions contradictoires. LFI et ses alliés veulent combattre « les communautarismes et l’usage politique des religions ». Il n’y aurait rien à redire sauf qu’il est écrit l’inverse dans le début de la phrase, du moins est-ce comme cela que je l’interprète. En effet la Nouvelle union populaire écologique et sociale souhaite protéger « la liberté de conscience et d’expression » tout en défendant une « République laïque ». Les demandes communautaristes le sont précisément au nom de la liberté de conscience. Pour citer un cas concret je n’ai jamais entendu aucun élu LFI expliquer que la mise en place d’horaires séparés pour les femmes et les hommes dans les piscines municipales est inenvisageable parce qu’elle reviendrait à reconnaître un « usage politique des religions ». Je ne peux pas en dire autant de certains élus EELV qui eux militent pour la mise en place d’horaires séparés pour les femmes et les hommes dans les piscines municipales. Je veux terminer la discussion de ce point en précisant que pour moi la République laïque consiste à ne reconnaître aucune religion. La laïcité protège la liberté de culte mais pas la liberté de conscience, tout simplement parce qu’elle est déjà protégée par l’article 10 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen («Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »). Mais sans doute LFI entretient-il exprès la confusion entre laïcité et liberté de conscience.
« L’adoption d’un bouclier logement afin de limiter la part des revenus consacrée à se loger, notamment par l’encadrement des loyers à la baisse sur tout le territoire et la production de logements sociaux »
Le bouclier logement était un point important du programme électoral d’Anne Hidalgo. Je suis opposé à cette mesure parce qu’elle n’est rien d’autre que de l’assistanat. Dans la pratique il s’agirait de permettre aux ménages modestes de pouvoir entrer dans un logement dont le loyer représenterait plus de 30% de leur budget, le « bouclier » venant compléter la différence. Ainsi un ménage gagnant deux fois le SMIC et qui voudrait s’installer dans un logement dont le loyer est de deux fois le SMIC pourrait l’occuper tout en ne payant que 30% de ses revenus. Où placer la limite supérieure ? Comment combattre l’effet de seuil ? Les implications concrètes rendent ce dispositif tout simplement impossible à mettre en place.
« 1% du PIB dédié à la culture, des budgets alloués sur cinq ans, sur tout le territoire national, afin de donner une nouvelle ambition aux politiques culturelles »
C’est la mesure qui me fait le plus sourire car cette promesse électorale du « 1% pour la culture » date de 1981 et fleure bon l’époque « Jack Lang ». La gauche au pouvoir ne l’a jamais appliqué, ce qui me suffit pour discréditer cette proposition. Pour ce qui est des budgets alloués sur cinq ans je crains qu’ils ne soient anticonstitutionnels car le PLF ne peut décider que du budget de l’année. Il n’est pas possible de voter des crédits sur plus long.
« L’ouverture de nouveaux droits comme celui du droit de choisir sa fin de vie »
Cette phrase me fait peur. Pour ce qui est du « droit de choisir sa fin de vie » il n’y a aucun doute sur les intentions de la Nouvelle union populaire écologique et sociale, il s’agit pour eux de rendre légal le suicide assisté. Pour les « nouveaux droits » le premier qui me vient à l’esprit est la légalisation de la GPA en France. Si ces deux sujets méritent débats il ne méritent en aucun cas d’être imposés.