Travailler pour toucher le RSA ? La gageure.

Si au moment de son annonce la proposition de loi « instaurant un engagement républicain pour les bénéficiaires de la solidarité nationale » a suscité de la polémique, sa publication par l’assemblée nationale s’est faite dans l’indifférence. Pourtant la lecture attentive du texte révèle bien des choses sur les intentions avouées ou inavouables de ses signataires.
Comme à chaque fois la proposition de loi se décompose en deux parties : le texte de loi en lui-même précédé d’un exposé des motifs où les signataires argumentent sur le bien-fondé de leur proposition.
Allons tout de suite à la mesure phare, celle consistant pour le bénéficiaire du RSA de devoir travailler pour la collectivité 35 heures chaque mois sous peine de ne pas percevoir l’allocation. Je crois qu’il n’y a même pas besoin d’aller sur le terrain de la morale pour comprendre combien cette proposition est scandaleuse, il suffit d’aller sur celui de la norme.
On découvrira alors que les signataires ne font aucune différence entre le travail d’intérêt général qu’ils appellent de leur voeux dans cette proposition de loi et le travail d’intérêt général actuellement en vigueur quand il est une peine prononcée par un juge.
Cela veut dire que si ce texte voyait le jour on pourrait voir travailler côte à côte deux personnes, l’une pour réparer sa faute et l’autre pour toucher à la fin du mois son RSA. Difficile dans ces conditions de distinguer le délinquant du chômeur mais très facile par contre de les associer, voire de les confondre.
Je pense de toute façon que c’est innaplicable et les signataires se gardent bien d’aller sur ce terrain-là. Puisque selon l’INSEE 1 386 354 personnes bénéficient du RSA (données de 2013), mettre en application cette mesure reviendrait à devoir employer du jour au lendemain 115 000 personnes à temps plein. Je ne vois pas comment les collectivités vont s’y prendre pour trouver du travail à tout ce monde et surtout contrôler que les heures sont belles et bien faites. Pas de doute, il va falloir embaucher alors que la plupart des signataires sont d’accord avec l’idée qu’il y a déjà bien trop de fonctionnaires territoriaux.

Pour discuter morale je préfère regarder du coté de l’article 1 du texte car il est – comment dire – surprenant. On apprend à sa lecture que si effectuer 35 heures par mois de travail pour la collectivité sera une condition nécessaire, elle ne sera pas pour autant une condition suffisante. Le bénéficiaire du RSA (ainsi que le bénéficaire de toute allocation de la Caisse d’allocations familiales, de l’allocation personnalisée d’autonomie, de la prestation de compensation du handicap et de l’aide médicale d’État) devra au préalable rédiger à la main – oui, écrire ! – un texte dont la lecture laisse songeur. Il crée même un précédent car jamais aucun texte n’a prévu une telle disposition, encore moins en échange de quelque prestation que ce soit. Même quand on souhaite devenir français la loi prévoit seulement la signature d’une charte et non pas sa rédaction manuscrite.
Le premier sentiment qui vient est celui de l’infantilisation de l’allocataire, qui devra en passer par là s’il souhaite toucher son RSA (il faudra rédiger au guichet, devant l’employé), mais une seconde analyse révèle bien d’autres choses. Les signataires s’en défendront certainement mais il s’agit également de rendre l’exercice aussi compliqué que possible, en écrivant par exemple « décret n° 2012-127 du 30 janvier 2012« .
Il y a aussi des choses à dire sur cette pseudo charte* qui enfile les poncifs de la droite comme des perles. Sans compter que dans leur élan à caresser dans le sens du poil la frange la plus extrême de leur électorat** les signataires cumulent les pléonasmes. C’est ainsi qu’il faudra écrire « collectivité nationale française » en toutes lettres et – en faisant l’effort d’aller voir de quoi il retourne – réaliser que le contenu du fameux décret n° 2012-127 fait largement doublon avec ce qui est écrit dans la première phrase. Enfin je ne peux pas passer sous silence le fait de devoir écrire  » respecter ses principes fondamentaux tels la laïcité, l’égalité homme-femme et l’obligation de scolarité « , membre de phrase qui vise très directement les populations étrangères réelles ou supposées et qui induit qu’elles ne respectent pas ces principes…
Mais tout comme pour l’article 2 relatif au travail cet article 1 contient en son sein son innaplication. En effet s’il est prévu que « Le refus ou le non-respect (…) entraînera la suppression [du] droit », les signataires renvoient au Conseil d’Etat pour dire quels seront « les organismes assurant le contrôle du présent article ». C’est ce qui s’appelle botter en touche, surtout quand il s’agira de dire si oui ou non l’égalité homme-femme a été respecté***. Ou pour prendre un autre exemple comment dire de quelqu’un qu’il ne respecte pas la laïcité si on n’en a pas au préalable déterminé les bornes ?
On pourrait aussi discuter de la proportionnalité entre la faute et la sanction car il est question ici de suppression définitive, rien que ça. C’est drôle de voir que la législation n’est pas aussi sévère avec les sportifs qui se dopent ni avec les élus convaincus de fraude, qui même en cas de récidive – circonstance aggravante par excellence – retrouvent l’intégralité de leurs droits une fois leur peine purgée. Pas question de cela ici, c’est une suspension à vie et sans possibilité d’appel.
Justement, pour en savoir plus sur les tenants et aboutissants de cette incroyable proposition de loi lisons plus attentivement cet exposé des motifs, qui par ailleurs m’a fait froid dans le dos, il n’y a pas d’autres mots. On peut comprendre à la rigueur que les signataires parlent de « consommation de prestations sociales » même si je suis en désaccord total avec cette expression car c’est là une vue politique. Par contre je considère qu’ils tombent les masques quand ils écrivent que la cohésion de la société française est « minée par le communautarisme » car quand bien même cela serait vrai cet argument n’a rien à voir avec le texte sauf si précisément on veut lier l’un et l’autre, « consommation de prestation sociale » et « communautarisme« . L’exposé des motifs en ce domaine est très clair et le lien y est clairement fait. Il y a aussi l’allusion à peine voilée de respecter les valeurs de la France « quelle que soit [sa] nationalité », preuve que les signataires souhaitent bien distinguer les uns qui par habitude les respectent des autres qui c’est bien connu ne les respectent pas…
Pour enfoncer le clou les signataires se défendent par une belle prétérition : « Il ne s’agit pas non plus de mettre au banc des accusés les bénéficiaires de prestations sociales » assurent-ils en chœur. Mais bien sûr que si ! ai-je très envie de répondre, autrement ce texte n’aurait aucun sens.
J’en conclue que cette proposition de loi ne doit pas sa rédaction au besoin de l’état de contrôler strictement ses dépenses. Il s’agit plutôt d’une visée politique, consistant à donner des gages à un électorat sensible aux thèses de l’extrême droite en ce domaine.

* Que ne rêve t-on que chaque élu ne rédige quelque chose d’équivalent avant d’entrer en fonctions, du conseiller municipal au président de la République !
** Oui je défends l’idée que ce si ce texte existe c’est aussi voire surtout pour cela.
*** J’imagine que les tâches ménagères sont exclues du champ d’application de la loi…

À propos de VincentB

"Né citoyen d'un Etat libre, (...) quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d'y voter suffit pour m'imposer le devoir de m'en instruire" [Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social]
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