Un décompte qui compte, au début…

Après avoir proposé sur ce blog de simuler le second tour de l’élection présidentielle j’ai aussi voulu regarder comment se passerait le dépouillement avec une question en tête : « Imaginons un score serré, par exemple de 51%/49%*. A partir de combien de bulletins dépouillés peut-on être certain du résultat du scrutin ? ».
Avant de discuter de la réponse regardons comment s’organisera notre second tour virtuel. Comme à mon habitude je vais utiliser un tableur et la fonction ALEA(), ce qui va me permettre de tirer au sort un nombre entre 0 et 100. Je vais bien entendu tenir compte des bulletins blancs ou nuls, que j’estime à 12,7%. Histoire d’être précis, tout nombre inférieur ou égal à 12,696 signifiera que notre électeur a voté blanc ou nul. Au-delà et jusqu’à 55,448 je vais dire que le vote va pour « A », autrement ce sera un vote pour « B ». La traduction en pourcentage donne un score net de 49,2% pour « A » et de 50,8% pour « B ». Coté panel j’ai choisi 1% des votants du premier tour soit un groupe de 359 235 électeurs. Ces derniers vont donc – via mon tableur – soit voter « A » soit voter « B » soit encore déposer un bulletin blanc ou nul dans l’urne. Tous les éléments étant en place il n’y a plus qu’à commencer le dépouillement.
Le premier bulletin est pour « A », il a donc pour le moment 100% des voix. Le second est pour « A » aussi. Le premier bulletin blanc ou nul arrive avec la 4ème enveloppe. Avançons quelque peu. Après 100 votes j’ai 16 bulletins blancs ou nuls, 40 voix pour « A » et 44 voix pour « B » (47,6% – 52,4%). 100 bulletins plus tard l’écart s’est creusé à 58,5% pour « B » et 41,5% pour « A ». Allons jusqu’à 1 000 : « A » vient de retrouver le niveau qu’il avait après 100 votes. Nous poursuivons notre dépouillement et nous constatons que l’écart devient si faible que nos deux candidats sont pour la première fois à égalité parfaite après 2 518 votes : 1 106 voix chacun. 31 bulletins plus tard « A » reprend la tête de la course aux voix : 1 121 à 1 120. Le coude-à-coude va perdurer durant 300 votes puis « A » semble se détacher : 1 voix d’avance après 2 858 bulletins dépouillés, puis 10 puis 20 alors que nous avons passé le cap des 3 000 enveloppes ouvertes. Sauf que cela stagne et ne monte guère plus haut que 26 voix d’avance. A partir de 3 175 votes c’est le début de la descente et arrivé au bulletin 3 330 tout est à refaire pour les deux camps.
Ensuite et durant près de 700 bulletins c’est l’indécision qui domine même si jamais « B » ne passe devant. Il prend une dizaine de voix de retard, rattrape ce retard pour en concéder aussitôt autant. Mais arrivé à l’électeur 3 833, « B » mène d’une voix. Après 5 000 votes il y a encore 25 voix d’écart en faveur de « A » (2 200 contre 2 175) mais nous avons 2 444 voix pour chaque candidat après 5 563 enveloppes ouvertes. Rien n’est joué et bien malin qui pourrait dire à ce stade qui va l’emporter. Voire ! Car s’il reste encore 353 672 enveloppes à ouvrir je vais vous épargner de raconter la suite au même rythme. Tout simplement parce que pour aussi incroyable que cela puisse paraître les jeux sont faits. En effet, à partir de ce moment « B » ne sera plus jamais rejoint. Vers 17 000 « A » aura bien 49,8% mais c’est un pic qu’il ne retrouvera pas. Voici les scores constatés :

Après 50 000 bulletins : 49,2% – 50,8%
Après 100 000 bulletins : 49,0% – 51,0%
Après 200 000 bulletins : 49,1% – 50,9%
Après 300 000 bulletins : 49,0% – 51,0%

Nous avons enfin terminé de dépouiller les 359 235 votes. Notre résultat définitif montre 45 691 bulletins blancs ou nuls, 153 583 voix pour « A » et 159 961 voix pour « B ». « B » est élu avec 51,0% des suffrages. Il faut bien mesurer la portée de cet exercice : Tout s’est joué alors que pas même 2% des bulletins auront été dépouillé (la dernière égalité arrive à 1,57%). Il est impressionnant de constater qu’un écart aussi minime que 1,6 points se détecte aussi rapidement.
Existerait-il un biais ? Après tout je n’ai regardé que 1% de ce qui arrivera le 24 Avril prochain et il est manifestement impossible que le résultat soit identique quand il est répété 99 fois. « A » doit bien pouvoir battre « B » de temps en temps , non ? Non. Afin d’étayer mon affirmation le mieux est de retourner à notre tableur et de simuler 99 autres fois notre dépouillement.
Tirons de nouveau au sort 359 235 nombres en respectant notre postulat de départ. Si je fais l’opération 100 fois j’aurais simulé la totalité de l’élection ; nous verrons alors si le hasard donne au moins une fois « A » gagnant alors qu’il n’est derrière « B » que pour 1,6 petits points. Las, il n’y a pas de hasard à attendre du hasard et nous avons eu beau multiplier l’exercice par 100 il donne à chaque fois le même résultat.
Décidément, le seul moyen pour générer du suspens est de réduire l’écart de voix entre « A » et « B ». Inversons alors le résultat du scrutin et décrétons que « A » gagne l’élection mais de justesse : 50,1% contre 49,9%. Est-ce que dans ce cas le dépouillement peut proposer un résultat inverse ? Presque. Dans ma simulation « B » est devant 10 fois sur 100 mais cela signifie aussi que 90 fois sur 100 « A » obtient plus que la majorité. Certes il y a suspens mais il reste léger, surtout si nous regardons le détail. Sur les 10 fois où « B » gagne ce n’est jamais par plus de 630 voix d’écart. J’ai même un cas où la différence n’est que de 3 voix** ! Par contre lorsque « A » gagne ce n’est jamais avec moins de 59 voix d’écart. En outre je vois souvent des « +1 000 », des « +600 ». Bref, en dépit des 0,2pt qui séparent « A » de « B » nous voyons très vite lequel des deux va l’emporter.
Arrivé à ce point autant pousser l’expérience à fond. Comment se passerait le dépouillement si « B » gagnait d’un cheveu, disons 50,03% contre 49,97% ? Après tout cela fait aux alentours de 30 000 voix pour 35 millions d’électeurs, autrement dit rien. Vu de loin chaque voix va compter mais est-ce vraiment le cas ? Regardons. Sur mes 100 simulations « B » a gagné 69 fois et « A » 31. On pouvait s’attendre à un écart plus serré compte-tenu du score de chaque candidat. Mais là encore c’est dans les détails que nous voyons combien cela était inéluctable : Lorsque « A » l’emporte c’est en moyenne avec 369 voix d’avance alors que lorsque c’est « B » cette moyenne monte à 609. L’écart a beau être infime la pièce tombe presque toujours du même coté.
Vous pourrez vérifier de votre coté, « ça marche » ! Il y a pourtant un biais mais il ne concerne pas la méthode en elle-même. C’est que dans la réalité du scrutin les bulletins sont dépouillés bureau de vote par bureau de vote. Cela a deux conséquences. La première est relative à la taille puisqu’en moyenne chaque bureau de vote est constitué de 680 inscrits, ce qui est très peu. L’autre conséquence tient à la sociologie politique du bureau de vote : certains sont acquis à « A » et d’autres à « B ». Dès lors le résultat est biaisée d’entrée de jeu pour ce bureau de vote et il ne permet pas d’extrapoler le résultat de la France entière. Ma méthode – pour parfaitement juste qu’elle soit – n’est pas applicable « en vrai ». Ou alors il faudrait transporter au ministère de l’intérieur les 35 000 000 d’enveloppes avant de les ouvrir. Mais qui accepterait le résultat si l’on en ouvrait que 10 000 ? Personne bien sûr. Pourtant le résultat mathématique est là, implacable.

La conclusion finale est contre-intuitive : Un faible écart entre les deux candidats n’est pas synonyme d’indécision au moment du dépouillement. Au contraire ce dernier révèle assez vite le gagnant, installant la suite des opérations dans un faux suspens. Voilà pourquoi les instituts pourront dire dès 20h qui sera notre prochain président***, y compris s’il n’y a que 0,2pt d’écart.


 

* Peu importe pour qui, ce n’est pas le sujet. C’est d’ailleurs pour cela que dans tout ce billet il ne sera question que du candidat « A » et du candidat « B ».
** C’est un tableur ne l’oublions pas. Le recomptage donnera donc à nouveau 3 voix.
*** Leur méthode consiste à lisser autant que possible les biais dont j’ai parlé.

À propos de VincentB

"Né citoyen d'un Etat libre, (...) quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d'y voter suffit pour m'imposer le devoir de m'en instruire" [Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social]
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