Analyse critique du programme électoral d’Anne Hidalgo

Anne Hidalgo a présenté son programme électoral pour l’élection présidentielle d’Avril. Il est constitué de 70 points dont je me propose ici de discuter ceux qui ont attiré mon attention.

« augmenter les salaires » (point 1)
Comment aller contre ? La candidate socialiste ne propose rien de moins que 15% d’augmentation du salaire minimum (SMIC) sans préciser toutefois s’il est prévu que cela se fasse en une fois ou sur l’ensemble de son quinquennat.

« mettre fin aux écarts de salaire indécents » (point 2)
Il s’agit ici de limiter de 1 à 20 l’écart entre les plus hauts et les plus bas salaires. Sans doute consciente que cela est inapplicable, Anne Hidalgo annonce d’ores et déjà que cela ne concernera que « certaines entreprises ». Ainsi, de dérogations en exceptions cette mesure a tout en elle pour ne jamais voir le jour.

« assurer l’égalité réelle des salaires entre femmes et hommes » (point 3)
La candidate compte en faire une « réalité » d’ici à la fin de son quinquennat, tout en reconnaissant à demi-mots qu’une loi existe déjà. En outre, Anne Hidalgo veut rendre obligatoire 6 semaines de congé de paternité sur les 16 possibles. Je ne suis pas certain que ce soit là une attente de son électorat, a fortiori une attente des électeurs.

« mieux protéger du chômage (…) » (point 4)
Je cite : « le temps de chômage deviendra réellement un temps d’activité au service du projet professionnel, grâce à des bilans de compétence et à la formation tout au long de la vie ». Mais il n’aura échappé à personne que cela existe déjà, sans parler du sous-entendu consistant à faire du chômeur une personne qui d’abord commence par attendre ses indemnités avant que de se préoccuper de retrouver un emploi.

« donner aux travailleurs des plateformes les droits des salariés » (point 7)
Il y a là un vrai sujet car cette forme d’emploi est dans l’air du temps. Mais par quel bout le traiter ? Je doute d’arriver à quelque chose d’utile si l’on pratique ici une simple politique de vases communiquants, qui consisterait à retirer à l’entreprise ce que l’on donnerait au salarié. En tout état de cause ceci doit être traité au plus vite, je ne peux pas me satisfaire d’un statu quo.

« consacrer les droits de la nature » (point 9)
C’est le premier des points du programme d’Anne Hidalgo qui évoque indirectement une réforme constitutionnelle, nécessité indispensable de tout candidat à l’élection suprême. A titre personnel j’estime que si le sujet de l’environnement peut se traiter à un niveau politique – entendez ici par la loi – je ne suis pas d’accord pour ajouter cette strate à notre constitution.

« pour la planification écologique » (point 10)
Dans cette perspective la candidate socialiste veut un ministre « du Climat, de la Biodiversité et de l’Economie », majuscules comprises. Comme je n’imagine pas l’action publique de notre pays puisse influencer de manière tangible le climat de la planète vous comprendrez que je juge cette mesure inutile.

« une fiscalité écologique juste » (point 11)
Comment rétablir l’ISF sans annoncer vouloir rétablir l’ISF ? C’est simple, il suffit de le rebaptiser « Impôt de Solidarité sur la Fortune Climat et Biodiversité ». J’ajoute que quels que soient les gouvernements, les cas connus de fléchages de l’impôt n’ont jamais véritablement marché ; dès lors je ne vois pas comment il en serait autrement ici.

« des énergies renouvelables à 100% aussi rapidement que possible » (point 12)
Je crois beaucoup en ITER, projet auquel le parti socialiste ne croyait pas en 2010 puisqu’il avait annoncé dans son programme électoral pour les régionales de l’époque ne pas vouloir donner un seul centime de subvention à ce programme. Dès lors je voudrais connaître la position d’Anne Hidalgo sur ITER. Considère t-elle la fusion nucléaire comme étant une énergie renouvelable ou pas ?

« vers des mobilités durables pour tous » (point 13)
La candidate promet un million de bornes électriques déployées dans tout le pays, soit près de 550 par jour. Pour être franc je pense que cela se fera, qu’elle soit présidente de la république ou pas.

« les logements bas carbone (…) » (point 14)
Anne Hidalgo annonce « la rénovation complète et performante de 760 000 logements privés par an » (c’est moi qui souligne). C’est juste strictement impossible à tenir car nous manquons d’entreprises, de main d’oeuvre et même de matériaux en nombre suffisant. Songez que cela nécessite de rénover de manière complète et performante 3 619 logements chaque jour à raison de 210 jours travaillés dans l’année.

« des citoyens acteurs de la démocratie au quotidien » (point 20)
Il y a beaucoup dans ce point, notamment la suppression discrète du CESE et la création d’une « conférence départementale de la participation », organisme qui sera chargé de porter les amendements et autres propositions de lois citoyennes. Anne Hidalgo promet bien entendu le RIC ainsi que la reconnaissance du vote blanc, deux dispositifs pour lesquels j’ai déjà eu l’occasion de dire pourquoi j’y étais opposé*. Enfin, la candidate socialiste reprend une idée de la primaire populaire à savoir la création d’un « bon de la démocratie » pour financer la vie politique. Là aussi j’ai déjà expliqué sur ce blog mes réticences face à ce dispositif.

« un président qui garantit mieux l’essentiel (…) « (point 21)
Encore une réforme constitutionnelle à écrire avec la proportionnelle aux législatives et un décalage électoral pour placer cette échéance avant l’élection présidentielle. Sur la proportionnelle je redis ici ce que j’ai déjà écrit : A supposer qu’Anne Hidalgo présidente dispose d’une majorité à l’assemblée nationale, cette majorité aura été élue selon le système majoritaire actuel. Dès lors des réticences bien naturelles vont apparaître sur le thème « pourquoi changer un code électoral qui nous a apporté la majorité ? ».
Je le découvre avec ce programme, la candidate socialiste souhaite un parlement qui « maîtrise son ordre du jour » certes, mais qui en contrepartie verra limité son pouvoir d’amendement. Là aussi cela ne peut se faire que via une réforme constitutionnelle, sans compter qu’aucun député n’a envie de voir ce pouvoir réduit à rien ou presque.
Dans la même veine Anne Hidalgo souhaite donner davantage de poids à l’opposition parlementaire au travers de commissons d’enquêtes réformées afin d’avoir « plus de pouvoirs ». J’avoue rester sur ma faim puisque ne sont pas précisés ici la nature de ces pouvoirs.

« une république décentralisée aboutie (…) » (point 22)
Sous ses aspects techniques c’est une petite révolution que propose Anne Hidalgo. Elle souhaite supprimer le contrôle de légalité – rien que ça – et le remplacer par un organisme qui contrôlera « a posteriori » les textes présentés. Autrement dit une fois le passage en force constaté on ne pourra que constater qu’il est trop tard…

« définir une nouvelle politique anti-concentration des médias » (point 25)
Encore une réforme constitutionnelle en vue, ce coup-ci pour protéger « les principes constitutionnels de liberté, de pluralisme et d’indépendance des médias ». Originalité par rapport aux autres candidats, Anne Hidalgo souhaite « conforter » la contribution à l’audiovisuel public, autrement dit conserver la si célèbre redevance télé. Mais – ajoute t-elle – cela sera fait de manière « juste et universel ».

« considérer et rémunérer les enseignants » (point 26)
La candidate du parti socialiste le dit dans son programme : « La rémunération des enseignants sera portée progressivement au niveau de celui des cadres (…) ». Mais pas un mot dans ce point sur la manière de financer cette augmentation.

« déployer les pédagogies ouvertes et inclusives » (point 27)
Je ne suis pas du tout convaincu qu’ « apprendre par la pratique » ou « apprendre à apprendre » soit la meilleure manière de « préparer nos enfants au monde dans lequel ils vivront », loin de là.

« mettre fin aux ghettos scolaires » (point 28)
Je suis très attaché à une école publique qui soit en capacité de tirer tous les élèves vers le haut, d’où qu’ils viennent. Mais en dépit d’un a priori positif sur l’objectif je suis déçu des moyens annoncés. Il ne s’agit pas tant de « mettre fin aux collèges-ghetto » que d’offrir un enseignement identique à celui des « collèges non-ghetto ».

« promouvoir à l’école les valeurs de la citoyenneté et du respect » (point 29)
Je vois que chaque candidat veut remettre au goût du jour l’instruction civique, chacun bien sûr selon sa propre vision du sujet. Concernant la lutte contre le harcèlement scolaire je signale qu’il existe – certes depuis peu – une loi pour combattre cela.

« supprimer Parcoursup (…) » (point 30)
Je veux juste relever que tout l’algorithme de Parcoursup est en « open source ». Anne Hidalgo peut donc difficilement affirmer qu’il y a des « critères peu transparents ».

« impulser une nouvelle ambition pour l’université » (point 32)
Si désormais 90% d’une tranche d’âge a son Bac en poche, Anne Hidalgo veut aller plus loin et diplômer 60% des étudiants. Si c’est en abaissant le niveau nécessaire elle y arrivera sans peine.

« L’éducation nouvel axe de notre politique culturelle » (point 33)
Doublon ou obsession ? En tout cas au moins répétition de ce qui a été écrit au point 24 : « [que] toutes les scènes publiques puissent systématiquement et tout au long de l’année accueillir des artistes en résidence »

« (…) la prise en compte réel de la pénibilité » (point 34)
Aux 6 critères existants la candidate socialiste souhaite en ajouter 4 de plus. Pour ma part je reste sur mes anciennes positions : 3 critères devraient suffire avec un rattachement non pas à la carrière mais à l’emploi.

« La santé pour tous (…) » (point 36)
Anne Hidalgo souhaite former 47 250 personnels de santé supplémentaires par an : 15 000 médecins, 1 250 sages-femmes, 25 000 infirmiers et aides-soignants ainsi que 5 000 agents hospitaliers. Par euphémisme je dirais que c’est très ambitieux.

« Donner la priorité à la santé publique (…) » (point 37)
Au détour de ce point nous lisons que la candidate souhaite rétablir les CHSCT et classer le « burn out » comme maladie professionnelle.

« (…) la question de la légalisation du cannabis » (point 40)
Anne Hidalgo donne le ton : création d’une conférence certes mais avec un objectif précis, arriver à la légalisation. Eric Coquerel (du groupe LFI) avait déposé une proposition de loi sur ce thème (avec entre autres mesures une amnistie), proposition sur laquelle j’aimerais avoir l’avis de la candidate socialiste.

« créer un service public de la petite enfance » (point 41)
Anne Hidalgo veut porter l’offre de places en crèches « de 470 000 à 600 000 en 10 ans ». Cela montre au moins que la candidate a conscience des diffultés qui l’attendent car cela correspond à un rythme de 60 places par jour (à comparer aux 3 600 logements du point 14)

« permettre à chacun de bien se loger (…) » (point 42)
La candidate a une proposition originale puisqu’elle est la seule à ma connaissance à la porter : créer un « bouclier logement » afin qu’ « aucun ménage ne [soit] contraint de dépenser plus du tiers de ses revenus pour se loger ». Ce bouclier sera en fait une « allocation logement complémentaire (…) pour ceux qui seraient au-delà de ce seuil ». C’est à mes yeux une mesure bien trop démagogique pour que cela puisse exister un jour.

« donner aux jeunes les moyens de leur autonomie » (point 43)
C’est sans doute la première mesure de la candidate qui ait été médiatisée, celle consistant à donner un pécule de 5 000 Euros à chaque jeune au moment de sa majorité. Avec un peu moins de 800 000 jeunes concernés chaque année c’est tout de même 20 milliards d’Euros sur 5 ans qu’Anne Hidalgo devra trouver pour financer cette mesure. J’avoue pour ma part préférer un retour à l’universalité des allocations familiales.

« (…) tranquillité publique (…) » (point 46)
Si Anne Hidalgo souhaite voir plus de policiers et gendarmes « sur le terrain (…) grâce à des recrutements (…) » elle ne s’engage sur aucun chiffre alors qu’elle a su le faire pour les personnels de santé. Acte délibéré ou manque involontaire ?

« 1 milliard d’euros pour un ministère des droits des femmes » (point 47)
C’est assurément beaucoup lorsqu’on compare avec le dernier projet de loi de finance où 50 millions d’euros sont consacrés. Cela représente donc une augmentation par un coefficient 20.

« une justice indépendante (…) » (point 48)
Comme pour la police ou la gendarmerie, Anne Hidalgo s’engage à lancer un « plan de recrutement de magistrats, de greffiers et de travailleurs sociaux ». Dommage qu’elle ne précise pas combien.

« pour une sanction qui éduque » (point 50)
Au moins la candidate socialiste promet-elle des moyens et un objectif vers lequel tendre, à défaut d’un programme précis. Dans cette optique pourquoi ne pas faire revivre l’observatoire de la récidive et de la désistance ?

« relocaliser les activités économiques » (point 51)
Je cite : « Nous créerons un livret de développement industriel par l’écologie afin de flécher l’épargne des français vers les projets industriels créateurs d’emploi et décarbonant notre économie ». Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, le « fléchage » marche trop mal en France pour espérer quoi que ce soit de cette mesure. Souvenez-vous du Livret développement durable qui clairement n’a pas tenu les promesses placées en lui.

 


Lire ici mon texte sur le RIC et celui relatif au vote blanc.

 

À propos de VincentB

"Né citoyen d'un Etat libre, (...) quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d'y voter suffit pour m'imposer le devoir de m'en instruire" [Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social]
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