L’impossible fraude

Le complotisme* a le vent en poupe et la toute proche élection présidentielle n’échappe pas à ce phénomène. C’est ainsi que des « personnes bien informées » annoncent sur les réseaux sociaux que le ministère de l’intérieur a sollicité Dominion** pour gérer les résultats du premier tour autrement dit les trafiquer, n’ayont pas peur des mots. Mais comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire ici-même la France n’est pas les Etats-Unis d’Amérique et le système électoral français n’a rien à voir avec le système électoral américain. Cherchons néanmoins à savoir comment une telle triche serait possible car cela mettra en lumière j’espère le coté absurde d’une telle affirmation.
Il y avait lors de l’élection présidentielle de 2017 69 948 bureaux de vote avec en moyenne 681 électeurs inscrits dans chaque bureau. Cette première salve de chiffres démontre que le résultat de l’élection présidentielle ne peut pas dépendre d’un seul bureau ni a fortiori de 100 bureaux et pas même de 1 000. Le seul moyen de tricher est de truquer les résultats de tous les bureaux. Sauf que pour arriver à ce résultat il ne faut aucune fuite, aucun «#Metoo » électoral alors qu’un complot de cette ampleur nécessite de mettre au bas mot plusieurs centaines de personnes dans la confidence. Sans compter que cela revient à organiser – et ce n’est pas rien – une fausse élection non seulement sur notre territoire mais aussi à l’étranger et dans nos départements et territoires d’Outre-mer. Cela signifie concrètement que l’électeur vote, que le président du bureau consigne le résultat sur son procès-verbal et qu’ensuite ce dernier est jeté aux orties, cela plus de 69 000 fois. Il faut donc soit 69 000 complices (y ajouter les assesseurs et les scrutateurs) soit au contraire s’assurer qu’absolument personne parmi tout ce beau monde ne cherchera à vérifier si le résultat du vote transmis au ministère de l’intérieur a été correctement retranscrit ou non.
La bonne solution est par conséquent de cloisonner l’information, autrement dit de publier un résultat global sans jamais le détailler bureau de vote par bureau de vote. Hélas, ne rien diffuser du tout reviendrait à créer un précédent fâcheux forcément plus que suspect, y compris à mes yeux. Je signale qu’en 2017 le ministère de l’intérieur a rendu public un tel fichier dès l’entre deux tours, ce qui m’avait permis à l’époque de proposer de simuler sur un tableur les possibles reports de voix. A en croire les complotistes une telle diffusion n’aura pas lieu cette année ; nous verrons bien. Autre paramètre à prendre en compte, la presse et plus particulièrement la presse quotidienne régionale. Celle-ci a pris l’habitude de publier dans ses colonnes les résultats de chaque bureau de vote, non pas depuis les chiffres du ministère de l’intérieur mais depuis ceux des préfectures. Complices, il faut donc mettre ces dernières dans le secret de la grande manipulation. Je trouve que cela commence à faire beaucoup de monde à « mouiller » mais passons.
Nous en revenons peu ou prou au même point à savoir la publication d’un résultat qui ne correspond en rien à la réalité du terrain. Sauf qu’inventer des chiffres ne s’improvise pas, mais alors pas du tout. Car si c’est une chose que de produire un faux résultat, c’en est une autre que de donner à ces chiffres l’apparence qu’ils sont vrais. Le défi est de taille car il faut remplir chaque case : il faut inventer un nombre de votants, un nombre de bulletins blancs et nuls (désormais décomptés à part) et surtout correctement répartir les voix entre tous les candidats. Par contre il ne faut pas que la manipulation soit grossière autrement tout l’édifice s’effondre tel un château de cartes. Je signale que mis bout à bout il y a un peu plus de 3 000 000 de cases à remplir, une paille. D’autant plus qu’il faut non seulement penser à tout mais aussi ne rien oublier : Personne ne comprendrait que Marine le Pen ne soit pas largement en tête à Hénin-Beaumont (46,5% au premier tour de 2017) ou que les français d’outre-mer se soient subitement déplacés en masse pour voter (au premier tour de 2017 le taux de participation des français de l’étranger a été de 43,8%, de 78,1% en métropole et de 43,2% dans les DOM-TOM). A tel point que la manipulation devra être si subtile, si parfaite qu’elle aura toute l’apparence du vrai vote. Les complotistes qui décidément ont réponse à tout répliqueront que c’est le but recherché.
Grâce à Dominion donc, le pouvoir en place se laisse la possibilité de choisir qui lui sera opposé au second tour, il serait trop bête de se priver d’un tel privilège. Manipuler pour manipuler Emmanuel Macron pourrait choisir Philippe Poutou ou Jean Lassalle mais chacun aura vite compris que la ficelle serait un peu grosse. Nous devons donc admettre que l’opposant devra être un opposant crédible pour un public crédule. Cela réduit la liste à quatre candidats : Marine le Pen, Valérie Pécresse, Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour. Relevons que cette liste correspond – comme par hasard – à la liste des candidats annoncés juste derrière le chef de l’état par les instituts de sondage***. Toutefois si les complotistes savent nous dire qu’il y aura manipulation du vote ils sont bien en peine d’annoncer dès à présent qui sera au second tour. Leur connaissance du complot a ses limites et ils devront comme tout un chacun attendre le soir du 10 Avril pour avoir la réponse à cette question****. Et tant qu’à y être on peut aussi demander aux complotistes si les différents candidats sont au courant de ce qui les attend, si celui qui restera en lice le 24 Avril le sait déjà ou pas encore.
Pour continuer la démonstration admettons toutefois que cela se passe comme Dominion et le ministère de l’intérieur le souhaitent. Emmanuel Macron est au second tour, opposé à X. Les 14 jours qui séparent les deux tours seront cruciaux. Vous rencontrerez durant cette période les complotistes déçus – soutiens de Y ou Z non qualifiés – qui bien entendu vont crier sur les réseaux sociaux que tout ceci a été truqué dès le départ. Il serait savoureux de les mettre en relation avec les complotistes partisants de X, qui eux expliqueront que Dominion a déjà préparé le fichier du second tour tout en nous assurant que le premier tour est le résultat du choix des électeurs.
J’ai parlé de période cruciale car chacun devra tenir sa langue. Le ministère de l’intérieur devra renoncer à publier le fichier complet des résultats du premier tour pour éviter toute analyse prématurée, les inévitables curieux innocents du complot qui se trame sous leurs yeux ne devront pas l’être trop et chaque personne impliquée dans cette incroyable histoire devra faire preuve d’aucun remords de dernière minute. Arrivera alors le 24 Avril et tout sera à recommencer : ré-organiser une fausse élection sur toute la planète, re-tromper 69 000 présidents de bureau de vote, re-publier un fichier de faux résultats avec il est vrai seulement 138 000 faux chiffres à inscrire. Il faudra aussi anticiper toute enquête un tant soit peu sérieuse. Ainsi le ministère devra t-il transmettre aux préfectures 69 000 procès-verbaux falsifiés afin que les chiffres nationaux « collent » avec ceux disponibles localement.
C’est la dernière phase du complot, la plus complexe : empêtrée dans cette histoire d’open data, le ministère de l’intérieur n’aura pas d’autre choix que de rendre public le fichier bâti par Dominion, je devrais dire les deux fichiers puisqu’il y aura deux tours. A ce stade je suis prêt à rejoindre les complotistes puisque j’affirme qu’il est impossible de créer un faux fichier de 3 000 000 de cellules – et un second de 138 000 – sans que personne ne soit capable de démontrer que l’un ou l’autre ou les deux ont été créés de toutes pièces et qu’ils ne sont pas la simple collation des PV des bureaux de vote. Pour parler technique quelques instants, la fonction ALEA() d’Excel est bien trop aléatoire pour être honnête si je puis le dire de cette manière. Tout lui confier est le meilleur moyen d’éventer le secret. Donc non, il faut avoir à disposition des petites mains qui comme pour éxécuter la plus fine des dentelles vont regarder case après case quel chiffre inscrire afin de ne pas générer de soupçon. J’ajoute pour être complet que le sens du détail doit être poussé à son extrème limite. Les complotistes l’ignorent sans doute mais l’administration fiscale utilise depuis longtemps des algorithmes pour chasser les fausses déclarations, algorithmes qui se basent sur les occurences des chiffres dans les montants inscrits sur les déclarations d’impôt*****. Les chiffres devront donc « faire vrai » jusqu’à ce point. Au final la copie ressemblera tellement à l’original que je pourrai sereinement affirmer que c’est l’original que les complotistes cherchent à attaquer. A ces derniers de démontrer ensuite que non au lieu de seulement l’affirmer sans apporter de preuves outre mesure.
Si j’entre dans leurs chaussures je ne trouve qu’une voie possible : remonter à la source autrement dit au vote réel des électeurs et prouver que le décompte n’est pas celui visible dans le fichier du ministère de l’intérieur. C’est à mes yeux impossible puisque faux mais tout bon complotiste niera cette évidence et préfèrera de loin expliquer qu’il y a eu escamotage des bulletins. Attention, pas un escamotage global mais juste un escamotage des seules voix de son favori, qui auront mystérieusement disparu au moment du dépouillement. Convenons que oui, que c’est ce qui est arrivé. C’est arrivé certes mais dans un bureau de vote. Il faut ensuite rééditer la démonstration pour le bureau d’à coté, puis sur celui d’encore à coté et ainsi de suite. Il faut nous expliquer comment la concertation s’est organisée entre des milliers – des milliers ! – de personnes pour réaliser cette manipulation. Ce n’est pas aux complotistes que je vais apprendre que le risque d’être pris la main dans le sac est à multiplier par le nombre de mains et par le nombre de sacs. Dès lors il faut non seulement être très fort mais aussi avoir beaucoup de chance pour qu’aucun grain de sable ne vienne gripper la machine.
Le plus simple et le plus logique reste de faire confiance aux électeurs et aux personnes qui tiendront les bureaux de vote les 10 et 24 Avril prochain. Croyez-moi, eux aussi savent créer des surprises.


* J’ai ma propre définition pour « complotiste », la voici : je dis complotiste toute personne tenant pour vraie l’existence d’une organisation concertée d’actions visant à un but précis, souvent d’origine secrète ou cachée du plus grand nombre mais que elle a réussi à percer à jour.
** L’évocation même de Dominion devrait suffire à discréditer cette thèse. Dominion en effet est un constructeur de machines à voter mais pas de celles qui sont utilisées en France, et d’une. Et de deux je ne vois pas pourquoi confier à Dominion la création d’un faux fichier de résultats alors que cela serait plus simple et surtout plus discret de le générer directement en interne, au sein même du ministère de l’intérieur. En trois : si le secret est si secret d’où est venu la fuite ?
*** Autrement dit il n’y aurait pas scandale à ce que l’un des quatre soit au second tour. Et encore moins MLP, annoncée par tous les instituts et pour rappel déjà présente au second tour il y a cinq ans.
**** Si c’est pour nous annoncer Marine le Pen je signale que c’est elle qui est seconde selon les instituts de sondage. Ne m’en veuillez pas de voir dans cette réponse plus de réalité que de complotisme.
***** Une fausse déclaration rédigée « à la main » respecte moins la distribution naturelle des chiffres qu’une vraie déclaration. L’algorithme permet de cribler, de signaler les déclarations méritants d’être ensuite étudiées de plus près.

À propos de VincentB

"Né citoyen d'un Etat libre, (...) quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d'y voter suffit pour m'imposer le devoir de m'en instruire" [Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social]
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