Lettre ouverte à M. William Martinet

M. le député,

Comme premier signataire vous avez déposé sur le bureau de l’assemblée nationale une proposition de loi « visant à prendre des mesures d’urgence pour protéger les locataires de la hausse des loyers et des charges ». Permettez-moi de vous interpeller sur l’article 5 qui d’après l’exposé des motifs « vise à abolir les coupures d’énergie et les limitations de puissance de la part des fournisseurs d’énergie ». Plus particulièrement, vous proposez une nouvelle écriture du troisième alinéa de l’article L. 1153 du code de l’action sociale et des familles qui, selon mon interprétation instaure ni plus ni moins qu’une forme de gratuité de la fourniture d’énergie aux ménages.
La formulation actuelle de cet alinéa est la suivante : « Du 1er novembre de chaque année au 31 mars de l’année suivante, les fournisseurs d’électricité, de chaleur, de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l’interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles. Les fournisseurs d’électricité peuvent néanmoins procéder à une réduction de puissance, sauf pour les consommateurs mentionnés à l’article L. 124-1 du code de l’énergie. Un décret définit les modalités d’application du présent alinéa. Ces dispositions s’appliquent aux distributeurs d’eau pour la distribution d’eau tout au long de l’année. »
Voici votre formulation telle que nous la trouvons dans votre proposition de loi : « Les fournisseurs d’électricité, de chaleur, de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l’interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles. Les fournisseurs d’électricité ne peuvent procéder à une réduction de puissance ne garantissant pas des conditions convenables d’existence. Un décret définit les modalités d’application du présent alinéa. »
Afin de bien situer mon propos prenons l’exemple d’un ménage qui n’honore plus ses factures liées à la fourniture d’énergie, qu’importe la raison. Aujourd’hui il est possible pour le fournisseur – après avoir épuisé les autres recours – de résilier le contrat en dehors de la période qui cours « du 1er novembre de chaque année au 31 mars de l’année suivante ». Mais pour éviter d’en arriver à cette solution radicale il peut « néanmoins procéder à une réduction de puissance ».
Imaginons maintenant que votre article 5 entre en vigueur. Qui aurait obligation de payer ses factures de fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz ? A priori plus personne car en vertu de la nouvelle rédaction du troisième alinéa de l’article L. 1153 du code de l’action sociale et des familles, les fournisseurs d’énergie ne pourront plus « procéder (…) à l’interruption (…) pour non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz », et ce en tout temps et tout le temps. En outre les « (…) fournisseurs d’électricité ne peuvent procéder à une réduction de puissance ne garantissant pas des conditions convenables d’existence ». Permettez-moi de souligner ici comme une évidence que lorsqu’un ménage souscrit un contrat d’énergie pour sa résidence principale c’est pour obtenir « des conditions convenables d’existence ». En contrepartie ces mêmes ménages s’engagent à payer pour le service rendu.
Or avec un tel alinéa 3 dans l’article L. 1153 du code de l’action sociale et des familles, ces « conditions convenables d’existence »  ne dépendraient plus du paiement ou du non paiement des factures puisque le fournisseur ne pourra plus « procéder à une réduction de puissance ». Dès lors qui trouverait un intérêt quelconque à continuer de payer ? Où placez-vous dans votre texte la « peur du gendarme » qui incite un ménage – a fortiori aisé – à régulièrement payer ses factures d’énergie ?
Ainsi, face à ces interrogations vous voudrez bien préciser dans le cadre de votre proposition de loi les recours que vous donnez aux fournisseurs d’énergie en cas de « non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz ». Plus globalement, vous voudrez bien expliquer en quoi l’article 5 de votre proposition de loi n’instaure pas la fourniture gratuite d’électricité, de chaleur ou de gaz dans les résidences principales.

Je vous prie d’agréer, M. le député, l’expression de ma très haute considération.

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Mes idées pour le logement

L’assemblée nationale par l’intermédiaire de sa présidente lance « l’assemblée des idées ». C’est dans ce cadre qu’aura lieu le 15 novembre un débat intitulé : « Logement : qu’est-ce qu’on a pas encore tenté ». Sensible à ce sujet je veux ici répondre à la question du débat et suggérer – fort modestement – quelques pistes.
Partant du constat que pour toute une catégorie de population il n’existe rien entre le HLM et le squat je souhaiterais voir combler cette lacune. La piste à explorer est celle du logement à partir de conteneurs, de part sa facilité à être mise en oeuvre et de part son coût, finalement modeste. En tenant compte des expériences déjà en place je suis sûr qu’il est possible de proposer des logements pour des foyers qui ne trouvent pas à se loger en HLM mais qui disposent d’un revenu, même fort maigre. A l’image des maisons à 100 000 Euros* je verrais d’un bon oeil des logements à 100€ de loyer. Au-delà de cette idée le principe même du logement à partir de conteneurs ne doit plus rester une expérience, il faut passer à l’échelon supérieur et développer cet usage.
Autre proposition qui n’a pas encore été tenté, celle relative au paiement du loyer en HLM. Il n’est pas normal – et je parle là d’un cas qui me touche de près – il n’est pas logique donc de payer son loyer durant 49 ans sans rien obtenir en retour. Partant de ce constat je milite pour que tout ménage qui occupe 30 ans le même appartement puisse soit en devenir propriétaire soit – amendement de repli – n’en plus payer que les charges. Si les HLM sont devenus des trappes à ghetto c’est aussi parce que les ménages qui en ont tout à coup les moyens quittent leur logement pour le parc privé, laissant la place à un ménage qui lui n’a pas les moyens d’aller ailleurs. Il faut aussi reconnaître qu’un ménage qui reste 20, 25 ou 30 ans dans le même logement peut légitimement se sentir « chez lui ». Il serait normal d’un simple point de vue de bon sens qu’il cesse de payer un « loyer » et qu’il ne paie que les charges. Deux solutions se présentent alors. La première consiste à dire qu’après 30 ans de loyers (360 versements…) le ménage est propriétaire de son logement. Il ne pourrait ni le vendre ni le louer, seulement le donner à sa descendance. En cas de décès ou de départ volontaire l’office HLM serait tenu de le racheter selon un montant spécifique connu à l’avance par les deux parties**. Bien entendu la loi devrait être adaptée afin de tenir compte de ce nouveau cas de figure (les HLM ne sont pas une copropriété). La seconde solution consiste à dire qu’après 30 ans le ménage ne paie plus de loyer, seulement des charges. C’est une solution plus simple à mettre en oeuvre mais qui reste dans la lignée de ce que je décris.
Concernant les loyers (les « termes ») je souhaiterais que la loi évolue. Aujourd’hui il n’est pas possible de payer d’avance, or je ne vois pas pourquoi cela devrait continuer d’être interdit. Ainsi des parents pourraient payer au bailleur 12 loyers d’avance pour le fils ou la fille qui étudie. Là aussi je distingue loyer et charges, ces dernières sont à exclure de cette disposition. Ou bien encore, un ménage déjà installé qui recevrait un supplément de revenu (je pense à un héritage) pourrait outre son placement décider d’avancer au bailleur x mois de son loyer.
Dernière remarque enfin, à propos de l’avance sur loyer délivrée par les CAF. Si l’idée de départ était bonne il faut désormais reconnaître que ce système est totalement dévoyé. Au lieu de rassurer les propriétaires il est devenu une source de revenu pour les marchands de sommeil qui trouvent là un moyen légal de s’enrichir. C’est une disposition que je souhaite voir disparaître au plus vite.

En résumé :

  • qu’est-ce qu’on a pas encore tenté : le logement « officiel » à partir de conteneurs
  • qu’est-ce qu’on a pas encore tenté : le fait d’être propriétaire de son logement HLM après 30 années
  • qu’est-ce qu’on a pas encore tenté : le fait de payer d’avance ses loyers
  • qu’est-ce qu’il faudrait tenter : Supprimer l’avance sur loyer des CAF.

* Je sais que l’expérience a été un échec. Je sais aussi à quoi est dû cet échec, au fait que la responsabilité de l’état s’est arrêtée au chèque et qu’il n’a été fait ensuite aucun contrôle de l’usage de cet argent. Les professionnels du métier ont dilapidé l’idée en pratiquant des économies sur tout ce qu’il était possible d’économiser. On est passé de bonne idée à gâchis.
** Du jour où le ménage est propriétaire de son logement il en connaît sa valeur de rachat par l’office HLM. Ce montant, révisé annuellement à partir de l’IRL, est porté à sa connaissance au travers de la quittance de loyer.

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La non-surprise du 49.3

Beaucoup s’en étonnent mais l’accumulation des « 49.3 » par le gouvernement devrait être tout sauf une surprise. Il est tentant d’y voir une manoeuvre politique mais l’analyse démontre qu’il n’en est rien. Celui qu’il faut accuser en premier de cette situation porte un nom étrange : il s’appelle « résultat de l’élection législative de Juin 2022 ». Remontons quelques mois en arrière et regardons la composition de l’assemblée nationale. Nous le savons tous, le gouvernement n’a pas de majorité absolue ; il n’a qu’une majorité relative puisque ses voix – sans atteindre 289 – restent plus élevées que celles des oppositions. Je fais bien attention de dire « les » oppositions car il y en a trois. Il y a l’opposition de l’intergroupe NUPES (151 députés), l’opposition du groupe RN (89 députés) et l’opposition que je qualifierais de droite (LIOT et LR, 82 députés). Parler d’ « une » opposition n’a pas de sens car si cela était vrai c’est elle qui aurait la majorité absolue (151+89+82 > 289). Face donc à ces oppositions la majorité présidentielle est de 251. Voici pour les données initiales sur lesquelles s’appuyer.
Si depuis le début de la XVIème législature des textes ont pu être votés sans invoquer l’article 49 alinéa 3 de notre constitution c’est que les oppositions n’ont encore jamais fait bloc. A chaque fois l’abstention d’un ou de plusieurs groupes donnait au gouvernement la majorité des voix. Alors pourquoi est-ce différent ici ?
Cela n’a pas été assez souligné par les éditorialistes et les commentateurs de la vie politique mais le PLF – et par extension le PLFSS – n’est pas un texte comme les autres, quand bien même il suit le même chemin législatif. Comme je l’ai déjà écrit il est le marqueur du positionnement politique de chaque groupe de l’assemblée nationale. Voter le PLF c’est affirmer supporter le gouvernement. Ne pas le voter c’est s’opposer à ce même gouvernement.
La grande différence avec les textes de loi que je qualifierais d’ordinaires vient de ce que l’abstention n’y joue pas du tout le même rôle. On ne s’abstient pas sur un PLF – jamais – car s’abstenir revient à le voter. Il y a comme une obligation politique de se dévoiler en votant soit « pour », soit «  contre ». Voilà la raison première qui explique le passage au 49.3. Il n’existe pas de demi-mesure sur un PLF et pour détourner quelque peu l’adage « celui qui est contre moi n’est pas avec moi ».
Pour l’intergroupe NUPES la question ne se pose même pas ; opposant farouche à tout ce qui touche de près ou de loin le gouvernement son vote « contre » est connu depuis Juin. Même remarque pour le groupe RN puisque sa présidente de groupe était présente au second tour de l’élection présidentielle. On ne l’imagine pas plus que la NUPES voter un PLF, quel qu’il soit. Nous voici donc avec 240 voix « contre ». Je rappelle qu’en face nous avons 251 voix « pour », ce qui donne 11 votes d’avance mais sans avoir encore examiné les intentions des groupes LIOT et LR. Ce sont eux les « faiseurs de roi », et de leur position dépend le destin du PLF. Qu’ils s’abstiennent et le texte passe, ils n’ont même pas besoin d’explicitement voter « pour ». Seulement voilà, si le PLF est voté ce sera grâce à eux et par voie de conséquence cela les placera de facto comme soutient actif du gouvernement. La nuance que peut représenter l’abstention étant gommée par l’importance du texte examiné le choix est binaire : oui, non ; pour, contre.
C’est pourquoi la composition intiale de l’assemblée nationale est la cause principale du 49.3. Le contenu même du PLF est ici secondaire. Je vais plus loin : imaginer un PLF bâti afin obtenir le « pour » des groupes LIOT et LR et donc éviter tout 49.3 nécessiterait bien plus que des ajustements. Il faudrait d’autres preuves politiques comme par exemple la nomination de ministres en provenance de ces groupes. Bref cela reviendrait à transformer la majorité relative en une majorité absolue, ce qui n’est pas envisageable.
En poussant mon raisonnement jusqu’au bout j’ai envie de dire heureusement que le 49.3 existe car autrement nous serions dans une impasse institutionnelle. La France n’a pas la culture du compromis que l’on connaît dans d’autres pays, la réticence à changer le code électoral pour une élection des députés à la proportionnelle en est la preuve. Pour revenir à mon explication le PLF ne peut pas être voté en l’état, dont acte. Mais quel groupe se dévouerait pour aider le gouvernement à faire passer ce texte ? Ce dernier ne peut regarder que sur sa droite, vers les groupes LIOT et LR. Le parti socialiste est de son coté attaché à l’intergroupe NUPES ce qui lui interdit toute amorce de dialogue en solitaire. Qui pour dire « Oui nous votons le PLF mais non, nous ne sommes pas avec le gouvernement » ? Un tel discours est juste impensable. On ne peut donc sortir de cette situation de blocage que par le 49.3. Le constituant l’a d’ailleurs prévu et si la réforme constitutionnelle de 2008 a fortement réduit les possibilités d’user de cette disposition, elle est explicitement restée pour le PLF et le PLFSS. Quelles conclusions tirer de cet épisode ?
Premièrement qu’il était inéluctable de voir le 49.3 débarquer dans l’hémicycle, pour les raisons que je viens d’évoquer. Ensuite que si l’assemblée nationale reste composée de la sorte nous retrouverons les mêmes séquences, PLF après PLF. La dernière conclusion est que – finalement – la majorité absolue ça a parfois du bon, du moins tant que n’existe pas dans vos rangs des frondeurs. C’est d’ailleurs l’esprit originel du 49.3 car la Vème république a été créé pour une assemblée essentiellement majoritaire. Il s’agissait avant tout de forcer la main de ses amis*, pas d’imposer un texte à ses opposants.
En tout état de cause l’idée d’une dissolution de l’assemblée nationale va fatalement faire son chemin dans l’esprit du président de la république, autrement nous vivrons l’an prochain, dans deux ans et dans trois ans les mêmes cris et les mêmes hurlements.


 * Sous la présidence de Nicolas Sarkozy a existé le groupe parlementaire « nouveau centre », qui avait obligation de voter les PLF. Nous étions d’ailleurs à la limite du mandat impératif.

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Interrogations autour d’une proposition de loi.

Premier signataire, le député du groupe LFI Louis Boyard a déposé une proposition de loi « visant à instaurer une allocation d’autonomie pour les jeunes en formation ». Las, elle est en l’état inconstitutionnelle ; c’est ce que je me propose de démontrer ici.
Regardons d’abord l’objectif de cette proposition de loi. Il s’agit pour les signataires de mettre en place « une garantie d’autonomie pour les jeunes fixée au-dessus du seuil de pauvreté. ». J’espère ne rien vous apprendre en vous disant que le seuil de pauvreté est d’abord un indicateur qui varie de manière purement mathématique puisqu’il représente 40% du niveau de vie médian. Le traiter comme une somme d’argent à l’image par exemple du taux horaire du SMIC traduit une méconnaissance de sa définition en ce qu’il laisse croire que ramener les revenus sous le seuil de pauvreté à ce niveau éradique la pauvreté, alors que cela ne fait que déplacer le niveau de ce seuil. Voilà pourquoi lire dans l’exposé des motifs que, « Grâce à la garantie d’autonomie, les jeunes entre 18 et 25 ans inscrits dans une formation ne seront plus privés de leur dignité pour vivre : leur revenu mensuel sera complété pour atteindre le seuil de pauvreté (…) » est trompeur. Avec le montant alloué ces jeunes resteront quand même sous le seuil de pauvreté, car ce dernier aura progressé en proportion, du fait de l’application de cette loi.
L’autre reproche que nous pouvons faire en lisant l’exposé des motifs est qu’il ne précise pas – même de manière large – le nombre de personnes concernées par cette « garantie d’autonomie ». Tout juste apprend t-on que « 626 723 lycéens professionnels » pourront aussi bénéficier de ce dispositif. Il faut chercher soi-même le nombre d’étudiants concernés par cette proposition de loi. Pour ma part j’ai trouvé le chiffre de 1 630 000, que je vais retenir faute de mieux. C’est donc environ 2 200 000 jeunes qui pourront prétendre à cette nouvelle aide. Autre manque et non des moindres, le budget annuel à mobiliser. L’exposé des motifs est absolument muet sur ce point alors que cela reste une donnée à connaître, quand bien même son financement est prévu et assuré par l’article 2 que nous verrons plus loin. Nous devons là aussi faire le calcul nous-même : 2 200 000 jeunes fois 1 102 Euros fois 12 mois font 29 milliards d’euros par an. Convenez que c’est une somme conséquente puisqu’elle représente quasiment deux fois le budget consacré au RSA (qui était de 15 milliards d’euros en 2019).
Il faut à présent lire les deux articles de la proposition de loi pour regarder de plus près le mécanisme proposé. L’article 1 n’appelle pas de remarque particulière si ce n’est que l’alinéa 3 ne parle que de « lycée professionnel ou (…) lycée professionnel agricole » quand l’alinéa 7 demande au Conseil d’état de préciser dans son futur décret comment un élève « scolarisé dans un lycée technologique ou général* peut percevoir cette aide ». Cette confusion dans les termes au sein du même article ne permet déjà plus de dire à l’avance quel lycéen est concerné et quel autre ne l’est pas.
Peu importe en fait car l’article 2 qui suit est tout bonnement inconstitutionnel, rien de moins. Je précise déjà que cela n’a rien à voir avec le volet politique de la mesure. Seulement, cette proposition de loi ainsi écrite ne peut pas être adoptée telle quelle, y compris en cas de vote favorable à l’assemblée nationale. Ceci parce que l’article 2 ne respecte pas les éléments fondamentaux du guide légistique.
Le plus surprenant est qu’il suffit pour s’en convaincre de lire une autre proposition de loi de l’intergroupe NUPES, loi dont Louis Boyard est cosignataire. C’est la proposition de loi « portant création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises », présentée comme étant la loi sur les superprofits. Proposée en application de l’article 11 de la constitution** elle est constituée d’un unique article. Si j’en parle ici c’est que l’article 2 de la proposition de loi sur la garantie d’autonomie des jeunes n’est rien d’autre qu’un mauvais « copié-collé » de l’article 1 de la proposition de loi sur les superprofits. Il me faut détailler les alinéas concernés pour en apporter la preuve.
Lisons d’abord l’alinéa 4 de la proposition de loi « portant création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises » : « Art. 224. – I. – A. – Il est institué une contribution additionnelle sur les bénéfices des sociétés redevables de l’impôt sur les sociétés prévu à l’article 205 qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 750 000 000 euros. ». Que dit maintenant l’alinéa 1 de l’article 2 de la proposition de loi « visant à instaurer une allocation d’autonomie pour les jeunes en formation » ? Il dit ceci : « I. – Il est institué une contribution exceptionnelle sur les bénéfices des sociétés pétrolières et gazières, des sociétés de transport maritime de marchandises et des sociétés concessionnaires des missions du service public autoroutier redevables de l’impôt sur les sociétés prévu à l’article 205 du code général des impôts qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard d’euros ».
Avec une telle rédaction l’alinéa « collé » est inconstitutionnel quand l’alinéa « copié », lui, ne l’est pas. Pourquoi donc ? Parce qu’il est fait dans le second cas explicitement référence au code où cet alinéa doit s’insérer. Il est « Après la section 0I du chapitre III du titre premier de la première partie du livre premier du code général des impôts » , dans  « une section 0I bis » créée pour l’occasion. Rien de tout cela n’est écrit dans le « collé », ce qui le rend de facto inconstitutionnel. Pour discuter valablement de cet alinéa il faudrait commencer par le rédiger à l’image de celui sur les superprofits, à savoir : « Art. 224. – I. – A. – Il est institué une contribution exceptionnelle sur les bénéfices des sociétés pétrolières et gazières, des sociétés de transport maritime de marchandises et des sociétés concessionnaires des missions du service public  autoroutier redevables de l’impôt sur les sociétés prévu à l’article 205 qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 750 000 000 euros. ». Les signataires ne peuvent pas feindre de l’ignorer puisqu’ils ont su ajouter deux articles au code de l’éducation avec l’article 1 de leur proposition de loi. Tant que l’article 2 ne sera pas correctement numéroté il restera inconstitutionnel. Pourquoi cela n’a t-il pas été écrit ainsi pourriez-vous vous demander ? Pour une raison toute simple : parce qu’autrement ces deux textes de lois s’excluraient mutuellement s’il venaient à coexister ! Le potentiel article 224 ne peut pas servir deux fois, une fois comme taxation des superprofits et une autre fois pour financer la garantie d’autonomie. Obnubilé par les « superprofits » des grandes entreprises, l’intergroupe NUPES imagine déjà comment redistribuer le produit de cette taxe. Mais il faut faire un choix : soit alimenter le budget général, soit le flécher en direction des jeunes. En ne choisissant pas entre les deux, l’intergroupe NUPES cherche à masquer qu’il utilise un même financement pour deux causes différentes.
Je veux tout de même poursuivre l’analyse de cet article 2 car il comporte d’autres incohérences que je ne veux pas passer sous silence. Voyez l’alinéa 2 : « Cette contribution exceptionnelle est égale à 25 % du résultat imposable. ». Passons sur le taux sinon confiscatoire du moins très élevé ;  arrêtons-nous plutôt sur le mot « exceptionnel ». Lisez et relisez, jamais nulle part vous ne trouverez une quelconque borne dans le temps. Louis Boyard et ses cosignataires utilisent le mot mais c’est tout. En réalité cet alinéa est – là encore – un mauvais « copié-collé » de l’alinéa 5 de la proposition de loi sur les superprofits, qui dit que « La contribution additionnelle est due lorsque le résultat imposable de la société pour l’exercice considéré au titre de l’impôt sur les sociétés précité est supérieur ou égal à 1,25 fois la moyenne de son résultat imposable des exercices 2017, 2018 et 2019. » Ici l’exceptionnel n’existe pas, il s’agit d’une contribution « additionnelle » qui n’a pas vocation à durer dans le temps puisque « les dispositions du présent article entrent en vigueur à compter de la publication de la présente loi et sont applicables jusqu’au 31 décembre 2025. », c’est l’alinéa 15 qui le précise. Dans le cas de la proposition de loi sur la garantie d’autonomie des jeunes il est question d’une nouvelle taxation des entreprises sans aucun bornage dans le temps ni même de proportion avec les résultats des années précédentes. Le « 25% du résultat imposable » l’est chaque année quelle que soit la valeur de ce résultat. Tout juste peut-on noter que – contrairement à la proposition de loi sur les superprofits – seuls quelques secteurs économiques sont concernés et non pas l’ensemble des entreprises. Dans tous les cas il faudrait donc amender cet alinéa 2 pour qu’il devienne simplement « Cette contribution est égale à 25 % du résultat imposable. », point.
Poursuivons. Les alinéas 3, 4 et 5 reprennent au mot près les alinéas 10, 11 et 12 de la proposition de loi sur les superprofits. Par contre l’alinéa 13 n’est pas du tout « collé ». Etrange, non ? Non. Lisons-le ensemble pour comprendre : « Sont exonérées de la contribution prévue au I du présent article, les sociétés dont la progression du résultat imposable par rapport à la moyenne des exercices 2017, 2018 et 2019 résulte d’opérations de cession ou d’acquisition d’actifs, pour la fraction du résultat imposable de l’exercice concerné. » Il est assez baroque de découvrir que dans une proposition de loi de l’intergroupe NUPES taxant les superprofits des entreprises il est quand même prévu une exemption, même modique (« (…) pour la fraction du résultat imposable de l’exercice concerné »). Il est encore plus savoureux de découvrir que cette exemption n’est pas reprise dans une autre proposition de loi de ce même intergroupe NUPES qui pourtant reprend l’intégralité des autres dispositions.
La lecture comparée des deux textes permet également de découvrir que l’alinéa 14 de la proposition de loi sur les superprofits est scindée en deux alinéas dans la proposition de loi sur la garantie d’autonomie des jeunes. En mathématique cela donne alinéa 6 + alinéa 7 = alinéa 14. Il reste toutefois à comprendre le pourquoi d’un tel découpage.
L’alinéa 8 interroge aussi. D’une part parce qu’il est ex-nihilo – lire qu’il n’est pas « collé » depuis l’autre texte – et d’autre part parce qu’il tord les articles 1727 et 1731 du code général des impôts. Le premier dit que « Le taux de l’intérêt de retard est de 0,20 % par mois. Il s’applique sur le montant des créances de nature fiscale mises à la charge du contribuable ou dont le versement a été différé. » ; le second que « Donne lieu à l’application d’une majoration de 5 % tout retard dans le paiement des sommes qui doivent être versées aux comptables de l’administration fiscale (…) ». Tout cela est balayé par l’alinéa 8 en question afin de fixer « la majoration (…) à 1 % du chiffre d’affaires mondial de la société ou de la société mère tel que constaté lors de l’exercice comptable antérieur. », disposition contestable au possible auprès des juges constitutionnels en ce qu’il ne concerne pas une modification du taux de majoration mais du mode de calcul tout entier.
Comme souvent il faut garder le meilleur pour la fin et la proposition de loi « visant à instaurer une allocation d’autonomie pour les jeunes en formation » ne déroge pas à ce principe. Ce sont les alinéas 9 et 10 qui jouent ce rôle. Le premier des deux prévoit que « La contribution exceptionnelle n’est pas admise dans les charges déductibles pour l’établissement de l’impôt sur les sociétés. » Traduit en langage clair cela signifie que l’entreprise devra payer des impôts sur la contribution nécessaire pour financer la garantie d’autonomie des jeunes, ce qui est – cela va de soi – inconstitutionnel. En effet selon l’alinéa 2, « Cette contribution exceptionnelle est égale à 25 % du résultat imposable ». Il faut donc que le fisc calcule en premier lieu le montant du résultat imposable pour lui appliquer ensuite le taux de 25% qui décide du montant de la contribution exceptionnelle. Mais avec cet alinéa 9, « La contribution exceptionnelle n’est pas admise dans les charges déductibles pour l’établissement de l’impôt sur les sociétés. ». Si l’assiette qui permet de calculer l’impôt contient déjà un impôt c’est donc que l’on paye des impôts sur l’impôt. Drôle de principe.
Cerise sur le gâteau, l’alinéa 10 est tout aussi inconstitutionnel. Il prévoit que « La charge pour l’État résultant de la présente proposition de loi est compensée, à due concurrence, par le produit de la contribution exceptionnelle mentionnée au I », autrement dit mentionné à l’alinéa 1 du texte présenté. Lorsque le législateur rédige la loi et que cette dernière implique une charge pour l’état, elle doit être gagée. C’est très habituellement par une surtaxe sur les tabacs et la plupart des députés qui déposent des propositions de loi y recourent. Mais Louis Boyard et les signataires n’ont pas voulu « faire comme les autres » et au lieu d’une augmentation du prix du tabac (La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services) ils se sont dit que, quitte à taxer les entreprises autant que cette taxe serve aussi à payer ce que cela coûtera à l’état. Belle attitude mais qui se heurte à notre constitution car non, on ne gage pas une charge pour l’état à partir de la taxe que l’on compte instaurer. Cela ne fonctionne simplement pas comme ça. Je ne vais pas aller jusqu’à dire que c’est inscrit dans la leçon n°1 sur l’art et la manière de correctement rédiger une proposition de loi*** mais c’est assez tentant tout de même.
Nous venons donc de voir qu’en l’état cette proposition de loi doit subir une profonde réécriture pour être valablement discutée**** à défaut d’être adoptée.

Je souhaite toutefois terminer mon propos en évoquant le volet politique de la mesure, donc en supposant cette proposition de loi correctement rédigée, prête à être votée en quelque sorte. Nous noterons pour commencer que l’écart est bien faible entre une « allocation d’autonomie pour les jeunes en formation » et une allocation pour tous les jeunes de 16 à 25 ans, sans autre distinction. Car enfin une personne de cette tranche d’âge est soit encore en train d’étudier, soit déjà en emploi. La présente proposition de loi consiste donc en réalité à donner un revenu à chaque jeune qui n’est pas encore dans l’emploi, et ce jusqu’à son 25ème anniversaire. Ce n’est d’ailleurs pas surprenant en soi puisque c’est là une proposition du programme politique de la France Insoumise. Nous pouvons seulement déplorer que LFI n’ose pas clairement nommer sa garantie en laissant entendre qu’il existerait une contrepartie nécessaire (« les jeunes en formation »).
La mesure – si elle était appliquée – signerait par ailleurs la fin des « jobs étudiants », ce qui est aussi une volonté affirmée du groupe LFI. Souvenons-nous de ce passage présent dans l’exposé des motifs : « Le fait que près d’un étudiant sur deux soit obligé de travailler pour subvenir à ses besoins crée une véritable injustice ». Regardons le cas de deux étudiants imaginaires que nous nommerons par convention Alice et Bob. Alice travaille en dehors de ses études pour un revenu de 800€ par mois. Bob étudie également mais ne touche rien par ailleurs. Arrive alors l’« allocation d’autonomie pour les jeunes en formation ». Que se passe t-il ? Alice reçoit 302 euros au titre de cette allocation et Bob 1 102 euros. Autrement dit nos deux étudiants ont désormais le même revenu alors que ce n’était pas le cas auparavant. Pour Bob c’est « tout bénef’ », l’état venant suppléer au fait qu’il ne travaille pas en dehors de ses études. Pour Alice c’est tout différent au contraire : Elle réalise qu’elle peut à présent quitter son emploi puisque l’état viendra compenser – à 100% ! – sa perte de revenus. En outre Alice n’est même plus intéressée à trouver un travail mieux rémunéré, l’effet de seuil jouant là son rôle pervers. Travailler y heures par mois – en plus des études – pour gagner 1 300 ou 1 400 euros est-il au final plus rentable que gagner 1 102 euros sans du tout travailler en dehors des études ? Chacun tiendra vite un raisonnement semblable et tout porte à croire que la garantie d’autonomie des jeunes sera un beau succès. Succès pour les jeunes certes mais pour l’état ? A priori cela ne doit pas coûter un euro puisque ce sont les entreprises qui de par leur contribution exceptionnelle (sic) financeront la mesure. Je pointe tout de même un déficit de plusieurs milliards.
Revoyons le coût, que j’ai estimé au début de ce billet à 29 milliards d’euros. L’exposé des motifs sur la garantie d’autonomie passant sous silence le montant de la recette attendue je dois trouver ailleurs le chiffre. Je l’ai trouvé là aussi chez LFI ce qui devrait donner crédit à cette recette, sans jeu de mot. Plus précisément à la lecture du rapport de la « Mission flash sur les entreprises pétrolières et gazières et celles du secteur du transport maritime qui ont dégagé des profits exceptionnels pendant la crise », mission présidée par Manuel Bompard. Dans sa contribution ce dernier estime « un rendement de 9,2 milliards d’euros si l’on ne retient que les entreprises du CAC 40. Il [le rendement] serait supérieur à 10 milliards d’euros s’il était appliqué aux 763 entreprises, tous secteurs confondus, qui ont généré un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros. » Et d’ajouter en gras dans le rapport : « Sur l’année 2022, au vu des premiers éléments économiques dont nous disposons, le rendement pourrait atteindre 20 milliards d’euros. ». Le déficit de financement sera donc de 9 milliards d’euros, ce qui nécessitera de taxer encore plus les entreprises ou de prendre au budget général la différence. En plus d’être démagogique au possible la mesure est en outre mal financée avant même son application.

Mais je ne veux pas conclure en n’ayant que critiqué la mesure, il me faut également en proposer une autre. A mes yeux la solution réside dans l’instauration d’un revenu universel mais je doute que cette proposition plaise au groupe LFI, précisément à cause de son caractère universel ; il concernerait pourtant les jeunes de 18 à 25 ans dont il a été question ici. Le débat est lancé.


* Souligné par moi.
** Proposition rejetée par le conseil constitutionnel pendant la rédaction de ce billet de blog.
***Je crois savoir qu’en outre toute nouvelle recette fiscale ne peut être votée qu’au détour d’un PLF ou d’un PLFR. Si cela s’avérait exact toute mon argumentation serait chapeautée par cette inconstitionnalité de fait.

**** Il est prévu que cette proposition de loi soit discutée en séance le 24 Novembre 2022.

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