J’ai osé : ré-écrire les considérants 12 à 16 de la Décision n° 2016-729 DC du 21 avril 2016

Oser contester une décision du Conseil constitutionnel est vu comme un crime de lèse-démocratie. Mais c’est en dépit de ma conviction avec une très grande humilité que je rédige ce billet.

Pour résumer en vitesse le propos, l’assemblée nationale a décidé de revenir sur les temps de parole des prochains candidats* de l’élection présidentielle, en substituant au principe d’égalité celui d’équité. Comme beaucoup je considère ceci comme injuste et je m’en suis déjà expliqué ici.
Ce texte voté (à une très courte majorité), il ne restait plus que le recours au Conceil constitutionnel pour espérer que l’égalité du temps de parole soit rétabli. Hélas pour ceux qui défendaient cette égalité, la décision rendue rend ce texte constitutionnel.
Je veux pourtant montrer ici que le Conseil consitutionnel pouvait tout aussi bien apprécier autrement ce texte de loi et décider – au contraire – que le principe d’égalité doit perdurer. J’ai tenté dans ce billet de placer mon argumentation sur le même plan que celui du Conseil constitutionnel, afin de souligner autant que possible combien seul l’appréciation du texte détermine si ce dernier est constitutionnel ou pas, et non la méconnaissance de notre droit.

Vous lirez dans un premier temps les considérants 12 à 16 tels que publiés par le Conseil consitutionnel puis à la suite la rédaction que j’en donne. Afin d’en faciliter la lecture j’ai placé en italiques et parfois en gras les passages que j’ai modifié. J’attire toutefois votre attention sur le considérant 12bis, créé pour l’occasion et qui je pense résume bien le fond du débat. Pour le considérant 15, la rédaction que j’en donne est d’autant plus surprenante que la modification apportée est mineure.

– Décision n° 2016-729 DC du 21 avril 2016, considérants 12 à 16.

12. Considérant qu’il appartient au législateur organique, compétent en vertu de l’article 6 de la Constitution pour fixer les règles concernant l’élection du Président de la République, de concilier l’exercice de la liberté de communication avec le principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions ;

13. Considérant qu’en prévoyant l’application du principe d’équité au traitement audiovisuel des candidats à l’élection du Président de la République pendant la période allant de la publication de la liste des candidats jusqu’à la veille du début de la campagne « officielle », le législateur organique a, d’une part, entendu favoriser, dans l’intérêt des citoyens, la clarté du débat électoral ; qu’il a entendu, d’autre part et dans le même but, accorder aux éditeurs de services de communication audiovisuelle une liberté accrue dans le traitement de l’information en période électorale, qui ne saurait remettre en cause les principes fixés par le législateur et dont l’application relève du conseil supérieur de l’audiovisuel ; que, si ces éditeurs conservent un rôle déterminant de diffusion de l’information à destination des citoyens en période électorale, leur diversité a été renforcée ; qu’il existe en outre d’autres modes de diffusion qui contribuent à l’information des citoyens en période électorale sans relever de réglementations identiques ; que, compte tenu de ces évolutions, en adoptant les dispositions de l’article 4 de la loi organique, le législateur a opéré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles de pluralisme des courants d’idées et d’opinions et de liberté de communication ;

14. Considérant, en deuxième lieu, que, d’une part, les dispositions de l’article 4 de la loi organique prévoient une égalité de traitement audiovisuel des candidats à l’élection du Président de la République à compter du début de la campagne « officielle » ; que, d’autre part, en prévoyant l’application d’un principe d’équité pendant la période allant de la publication de la liste des candidats jusqu’à la veille du début de la campagne « officielle », ces dispositions permettent que soient traités différemment des candidats qui sont à ce titre dans la même situation ; que cette différence de traitement, justifiée par le motif d’intérêt général de clarté du débat électoral, est en rapport direct avec l’objet de la loi, qui est de prendre en compte l’importance relative des candidats dans le débat public ; qu’il résulte de ce qui précède que l’article 4 ne méconnaît pas le principe d’égalité devant le suffrage qui découle de l’article 3 de la Constitution et de l’article 6 de la Déclaration de 1789 ;

15. Considérant, en troisième lieu, qu’en vertu du premier alinéa de l’article 13 de la loi du 30 septembre 1986 susvisée : « Le conseil supérieur de l’audiovisuel assure le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d’information politique et générale » ; que les critères de « la représentativité des candidats » et de « la contribution de chaque candidat à l’animation du débat électoral » introduits au paragraphe I bis de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 sont de nature à permettre d’assurer un traitement équitable des candidats à l’élection du Président de la République ; qu’il appartient au conseil supérieur de l’audiovisuel de veiller à l’application de ces critères et, en outre, de préciser les « conditions de programmation comparables » destinées à assurer le respect des principes d’équité, puis d’égalité à compter de la publication de la liste des candidats ; que les mesures arrêtées par le conseil supérieur de l’audiovisuel, qui ne sauraient ajouter d’autres critères ou conditions à ceux relevant de la loi organique, sont soumises à l’avis préalable du Conseil constitutionnel et, le cas échéant, au contrôle du juge de l’excès de pouvoir ; qu’ainsi, le législateur organique n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence ;

16. Considérant que les dispositions de l’article 4 ne sont pas contraires à la Constitution ;

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Ma rédaction de ces mêmes considérants

12. Considérant qu’il appartient au législateur organique, compétent en vertu de l’article 6 de la Constitution pour fixer les règles concernant l’élection du Président de la République, de concilier l’exercice de la liberté de communication avec le principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions ; que toutefois il ne lui est pas loisible de traiter de manière différentes les candidats à l’élection du président de la République dès lors que ces derniers sont placés dans une situation identique.

12Bis. Considérant que le Conseil constitutionnel rend public la liste des candidats à l’élection du Président de la République. Que dès lors aucune disposition de l’organisation de ce scrutin ne saurait donner un avantage de nature à influer sur le résultat ou à avantager un candidat ; que seul le débat public doit permettre aux électeurs de se déterminer, en dehors de tout autre considération ;

13. Considérant qu’en prévoyant l’application du principe d’équité au traitement audiovisuel des candidats à l’élection du Président de la République pendant la période allant de la publication de la liste des candidats jusqu’à la veille du début de la campagne « officielle », le législateur organique a, d’une part, entendu favoriser, dans l’intérêt des citoyens, la clarté du débat électoral ; qu’il a entendu, d’autre part et dans le même but, accorder aux éditeurs de services de communication audiovisuelle une liberté accrue dans le traitement de l’information en période électorale, qui ne saurait remettre en cause les principes fixés par le législateur et dont l’application relève du conseil supérieur de l’audiovisuel ; que toutefois le Conseil constitionnel définit la liste des candidats à l’élection du Président de la République ; qu’à ce titre, une fois publiée la liste des candidats, le principe d’équité prévu par le législateur organique traite différement des candidats qui sont dans une même situation, que si les éditeurs de services de communication audiovisuelle conservent un rôle déterminant de diffusion de l’information à destination des citoyens en période électorale, ils doivent contribuer à la neutralité du débat public en accordant à chaque candidat un égal temps d’accès à l’antenne ; qu’il existe en outre d’autres modes de diffusion mis à disposition des candidats qui contribuent à l’information des citoyens en période électorale sans relever de réglementations identiques ; qu’en adoptant les dispositions de l’article 4 de la loi organique, le législateur a opéré un déséquilibre en décidant de tenir compte des résultats d’élections passées pour organiser le débat public en vue de l’élection du Président de la République, ce qui est de nature à influer sur le résultat du scrutin ;

14. Considérant, en deuxième lieu, que, d’une part, les dispositions de l’article 4 de la loi organique prévoient une égalité de traitement audiovisuel des candidats à l’élection du Président de la République à compter du début de la campagne « officielle » ; que, d’autre part, en prévoyant l’application d’un principe d’équité pendant la période allant de la publication de la liste des candidats jusqu’à la veille du début de la campagne « officielle », ces dispositions ne permettent pas que soient traités de manière identique celles et ceux  qui,  au titre de candidat à l’élection du Président de la République sont dans la même situation ; que l’objet de la loi, qui est de prendre en compte l’importance relative des candidats dans le débat public méconnaît le principe d’égalité devant le suffrage qui découle de l’article 3 de la Constitution et de l’article 6 de la Déclaration de 1789 ;

15. Considérant, en troisième lieu, qu’en vertu du premier alinéa de l’article 13 de la loi du 30 septembre 1986 susvisée : « Le conseil supérieur de l’audiovisuel assure le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d’information politique et générale » ; que les critères de « la représentativité des candidats » et de « la contribution de chaque candidat à l’animation du débat électoral » introduits au paragraphe I bis de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 sont de nature à permettre d’assurer un traitement équitable des candidats à l’élection du Président de la République ; qu’il appartient au conseil supérieur de l’audiovisuel de veiller à l’application de ces critères et, en outre, de préciser les « conditions de programmation comparables » destinées à assurer le respect du principe d’égalité à compter de la publication de la liste des candidats ; que les mesures arrêtées par le conseil supérieur de l’audiovisuel, qui ne sauraient ajouter d’autres critères ou conditions à ceux relevant de la loi organique, sont soumises à l’avis préalable du Conseil constitutionnel et, le cas échéant, au contrôle du juge de l’excès de pouvoir ; qu’ainsi, le législateur organique n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence ;

16. Considérant que les dispositions de l’article 4 relatives à l’équité du temps d’expression des candidats sont contraires à la Constitution ;

* Dans tout ce billet le féminin est implicite.

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A droite, la primaire de tous les dangers.

Avec l’annonce de la candidature de Jacques Myard à la primaire organisée par Les Républicains, le moins que l’on puisse dire est qu’il y a beaucoup de monde sur la ligne de départ. Alors auberge espagnole, Barnum ou au contraire diversité bienvenue ? Quelle que soit la réponse il faut s’attendre à une primaire à nulle autre pareil.
Commençons par la course aux parrainages. Si obtenir l’aval de 2 500 militants devrait être assez simple, recueillir la signature de 250 élus dont 20 parlementaires l’est déjà moins, surtout que ces derniers devront en outre signer une charte où ils déclareront adhérer aux valeurs de la droite et du centre, ceci pour éviter tout parrainage par ruse*. L’on découvre surtout à cette occasion que la primaire selon la Droite doit se passer en petit comité, entendez trois ou quatre candidats** au maximum et en tout cas pas onze ou douze. Nul doute que certains resteront au portillon faute de signatures en nombre suffisant. Je pense d’ailleurs que très vite des voix vont s’élever pour que cette règle évolue voire se créer une sécession, lire ici une candidature directe au 1er tour de l’élection présidentielle.
Mais si pour participer à la primaire recueillir des soutiens est une condition nécessaire, elle n’est pas pour autant une condition suffisante. On l’a peut-être oublié mais Nicolas Sarkozy tient beaucoup à ce que chaque candidat s’engage autour d’une charte, une de plus, aux contours encore flous. Je ne vois pas très bien sur quoi il faudrait s’engager car tous les candidats à la primaire seront issus de la même famille politique, pour ne pas dire issus du même parti politique. Ils sont donc censés partager les mêmes valeurs et la perspective de devoir – en plus des autres obligations – signer une charte deviendrait inutile pour ne pas dire ridicule. A moins bien sûr qu’en creux ne se dessine l’idée qu’il faille faire allégeance au programme politique de Nicolas Sarkozy avant que de se présenter.
De toute manière, une fois la liste définitive des candidats établie et cette histoire de charte résolue, restera le temps de la campagne et des débats. Ce sera sûrement le point d’orgue, avec à la clé des crispations et des frustrations. Il me semble évident que nous aurons droit à l’inévitable débat sur l’opportunité de faire des débats, puis au débat entre les partisans de l’équité du temps de parole et les partisans de l’égalité du temps de parole (tiens, tiens…). Enfin, je parie aussi sur une polémique autour du temps de parole des soutiens.
Sur un plan plus politique, la course aux suffrages risque de mettre à mal un programme que l’on peut déjà qualifier d’ultra-libéral puisque selon toute vraisemblance la surenchère sera aux manettes et non pas la recherche de l’intérêt général pour redresser le pays. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, les différents candidats savent très bien qu’ils n’ont aucune voix à attendre d’un électeur votant – même occasionnellement – à gauche. A l’inverse, il sera utile tactiquement de chercher à convaincre au-delà du cercle des militants conquis d’avance et des sympathisants de Les Républicains, autrement dit regarder du coté de l’extrême droite et chercher à séduire les électeurs qui votaient UMP et qui votent maintenant FN***. A celles et ceux qui douteraient encore qu’une telle population existe je rappellerais simplement que s’il y a deux sénateurs FN au Sénat c’est bel et bien parce que des élus de droite ont voté pour eux et non pas pour le candidat naturel de leur parti.
Le risque est donc grand de voir se dessiner à coups de promesses toutes plus radicales les unes que les autres, un programme inapplicable au mieux, néfaste au pire. J’en veux pour preuve le tout récent débat sur la taille à donner au code du travail, où après plusieurs enchères à la baisse c’est je crois Hervé Mariton qui l’a finalement emporté en voulant le réduire à zéro page, autrement dit le supprimer. Je vous laisse imaginer ce que donnerait une telle démarche si elle s’appliquait à des thèmes comme la sécurité, l’éducation ou la justice.
Candidatures, débats, programme, c’est la primaire de tous les dangers qui attend la Droite si elle n’arrive pas à éviter ces écueils.

* Sans être ni de droite ni du centre, certains élus pourraient décider de parrainer un candidat dans le seul but d’ajouter un nom à la liste. Les déclarations de Luc Chatel sur ce sujet pourraient d’ailleurs en suggérer l’idée…
** Dans tout ce billet le féminin est implicite.
*** La formulation UMP et non Les Républicains doit se lire comme une considération de ma part que la porosité entre les deux votes est antérieure au changement de nom du parti politique.

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Présidentielle ouverte, suite.

Je souhaite revenir ici sur la réforme du code électoral dont la discussion définitive vient d’avoir lieu à l’assemblée nationale. N’en déplaise aux députés qui ont voté ce texte, ils font là une grave erreur.
Vouloir remplacer l’égalité du temps de parole par l’équité du temps de parole est une atteinte au débat démocratique ; elle est de plus basée sur des concepts trompeurs. On nous explique par exemple que l’équité va dépendre des résultats des partis ou mouvements politiques lors des dernières élections. C’est oublier un peu vite que les candidats* se présentent en leur nom, pas au nom de leur parti politique. Nous ne sommes plus sous la IVème république.
Partant de ce principe il n’y a aucune raison de différencier – j’allais dire discriminer – un candidat A d’un candidat B. Le principe du parrainage est là qui joue à plein son rôle de filtre qui permet d’éviter toute candidature fantaisiste. Il n’y a donc pas de raison de créer dans la loi des différences. Sans compter que – quand bien même l’équité du temps de parole deviendrait le droit – le contexte de la présidentielle de 2017 risque de tailler en pièces ce principe.
Il suffit pour cela d’imaginer qu’un candidat de Les Républicains** saute l’obstacle de la primaire et décide d’aller directement au 1er tour de l’élection présidentielle. En vertu de la règle de l’équité qui ne sait pas distinguer entre deux personnalités d’un même mouvement politique, il devrait être traité à égalité avec le candidat gagnant de la primaire LR, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. J’imagine d’ailleurs que ce ne serait pas du goût de ce dernier. Cette preuve par l’absurde (encore que …) montre les limites d’une telle loi si elle s’appliquait.
On peut aussi souligner que si l’égalité du temps de parole est une notion simple à appréhender, ce n’est pas le cas de l’équité. L’électeur de notre candidat A pourra en toute bonne foi estimer que l’équité n’a pas été respecté. A l’inverse le décompte et l’objectif affiché de voir respecter l’égalité du temps de parole évite en grande partie ce problème.
J’ai lu aussi quelque part – où ? – que baser l’équité sur les sondages posait problème. Je suis en accord total avec cette affirmation, d’autant que j’y vois effectivement un problème sur un plan déontologique : Le sondage n’étant rien d’autre qu’une prestation de service rémunérée, je n’aime pas du toute l’idée qu’il puisse servir de mesure étalon, a fortiori qu’il se trouve expressément cité dans la Loi. C’est lui donner une importance qu’il ne mérite pas.

* Ou une. Dans tout ce billet le féminin est implicite.
** Rappel : La justice a décidé que le nom n’était pas l’adjectif, d’où cette formulation.

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Election présidentielle : un texte mal venu.

A la veille du week-end de Pâques a été voté à l’Assemblée Nationale une loi qui réforme l’élection  présidentielle, rien que ça. Les deux principaux dispositifs de ce texte sont déjà critiqués, notamment de la part d’anciens candidats comme Nicolas Dupont-Aignan ou Corinne Lepage. Cette dernière a d’ailleurs publié un billet sur le site du Huffington Post, base de ma réflexion sur le sujet.
Si je suis d’accord sur le fond avec ce qu’explique l’ancienne ministre de l’environnement, je ne le suis pas avec certaines expressions utilisées, voire avec le ton parfois employé. Commençons par l’essentiel, le « traficotage » de l’organisation de l’élection présidentielle comme le dit Corinne Lepage. Ce sont les marges de la présidentielle qui sont en jeu ici, les détails et non pas les modalités mêmes de l’élection. Pour ma part j’aurais plutôt souligné qu’hélas, chaque majorité parlementaire profite de son passage au pouvoir pour changer les règles du jeu électoral et que le PS ne déroge pas à ce principe. Sur ce plan là il n’y a rien de nouveau sous le Soleil et l’on peut en toute légitimité renvoyer droite et gauche dos à dos.
Mon autre sujet de désaccord avec Corinne Lepage porte sur le fait que cette loi aurait été voté en catimini. C’est heureusement impossible d’un strict point de vue législatif. Ce texte a passé tout le parcours nécessaire avec aller-retour entre l’assemblée nationale et le Sénat, examen successif par deux commissions, et même – chose assez rare pour être soulignée – une commission mixte paritaire qui n’a pas réussi à s’entendre sur le texte à adopter. Comme cela a été dit dans l’hémicycle, c’est bien la preuve qu’il n’y a pas consensus sur les modifications souhaitées par le parti socialiste. De plus rien dans le calendrier ne démontre qu’il y a eu accélération ou passe-droit, les premiers débats publics ayant eu lieu mi-décembre 2015.
Corinne Lepage en conviendra donc sûrement avec moi, la société civile a manqué de vigilance et aurait bien eu besoin sur ce texte d’un ou plusieurs « lanceurs d’alerte », si prompts à intervenir par ailleurs. Ce n’est là qu’une question de médiatisation de l’événement quand on songe que la loi  dite « El Khomri » a été l’objet de débats et de manifestations sur la voie publique avant même que le texte ne soit déposé sur le bureau de l’assemblée nationale et donc lisible par chacun.
Ces différences de vues avec le billet de Corinne Lepage ne retire rien au fait qu’il y a là un texte qui porte à dénaturer l’élection présidentielle, du moins l’esprit dans lequel cette élection doit se dérouler. C’est surtout l’article 4 qui fait polémique, celui qui substitue dans le débat médiatique la notion d’équité à celui d’égalité. Un seul mot change et tout est changé oserais-je écrire. Jusqu’à présent, dès lors que le conseil constitutionnel validait la liste des candidats autorisés à se présenter à l’élection présidentielle, ces derniers avaient droit à une stricte égalité de temps de parole tant à la télévision qu’à la radio. Le Parti Socialiste a décidé de revenir sur cela et de décréter qu’en 2017 la notion d’équité suffira, la notion de stricte égalité étant limité à la campagne officielle, c’est-à-dire deux semaines avant le premier tour. Qu’on ne s’y trompe pas, la notion d’équité n’est rien d’autre que la représentation habituelle de la vie politique dans les médias. Pour résumer le texte de loi et ne pas redire ici ce qu’on peut lire ailleurs, les candidats des trois principaux partis auront au moins 80% du temps de parole disponible, les autres candidats dans leur ensemble se partageant au mieux les 20% restant. Ce n’est tout de même pas le fait de demander à ce que soit « assuré dans des conditions de programmation comparables » l’expression des candidats qui va créer l’équité en question. En temps qu’électeur j’estime qu’il est de la plus haute importance que chaque candidat à l’élection présidentielle puisse présenter ses idées et son programme dans le même quantum de temps. Le débat est démocratique quand il est basé sur l’égalité du temps de parole, il est biaisé quand il est basé sur l’équité, notion floue s’il en est. Le tollé va sans doute s’amplifier dans les jours à venir et je ne serai pas surpris de lire qu’une QPC – question prioritaire de constitutionnalité – soit déposée à ce sujet. Je le souhaite vraiment, d’autant que ma capacité d’intérêt à agir ne me le permet pas*.
Mais ce texte de loi ne parle pas que du temps de parole des candidats, il parle aussi des
parrainages. Le débat a été vif là aussi sur le fait que désormais les noms des parrains de
candidats seront rendu public. Il y a eu des amendements pour rester sur l’ancienne disposition, tirer au sort 500 parrainages et les publier, d’autres pour supprimer toute publicité. Pour ma part je défends d’autres voies. Une première idée serait de décider qu’un élu ne parraine non pas un mais deux, voire trois candidats. On passerait ainsi d’une notion de parrainage stricte, sous-entendu de soutien au candidat en question, à une notion d’autorisation, de permis de se présenter à l’élection présidentielle en quelque sorte. Cette idée de donner trois signatures et non plus une seule permettrait de faire cesser toute pression** sur l’élu chargé de donner son parrainage. Une autre idée pour mettre fin à ce débat sur les parrainages consisterait à effectivement publier les 500 signatures mais également déclarer dans le même temps la candidature à l’élection présidentielle comme recevable. Les discussions de l’assemblée nationale ont mis au jour un  dispositif inconnu ou du moins passé sous silence, à savoir que les « gros » candidats recueillent des signatures par milliers, jusqu’à 10 000 dit-on, histoire de phagocyter des parrainages qui pourraient se porter sur d’autres candidats. En décrétant la fin de la chasse aux signatures dès que le Conseil Constitutionnel en valide 500, on laisserait assez d’espace aux « petits » candidats pour obtenir des parrainages tout en limitant la notion de pression sur tel ou tel élu.
Un dernier mot toutefois pour revenir sur cette notion de publicité des parrainages. Elle est à mes yeux essentielle, si ce n’est sur la forme du moins sur le fond. Un élu doit être responsable auprès de ses électeurs de toutes les actions relevant directement de sa compétence. Le fait qu’il puisse à ce jour signer dans le secret un document officiel cadre mal avec la transparence de la vie politique telle que nous la souhaitons désormais.
En tout état de cause je considère que le débat sur la prochaine élection présidentielle ne fait que commencer et j’espère que la pression médiatique et citoyenne permettra de revenir sur des dispositifs contraires à l’idée que l’on peut se faire du débat démocratique.

* Je ne crois pas qu’être en possession d’une carte d’électeur soit un élément suffisant pour avoir dans ce dossier un «intérêt à agir»…
** Je n’ai lu que des accusations de pression sur les élus de la part des candidats qui reçoivent les parrainages ; je n’ai jamais lu de témoignage d’élu disant avoir parrainé un candidat par peur de perdre des subventions.

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