La fin de vie ou le débat terminé avant que d’avoir commencé.

Cette semaine arrive à l’assemblée nationale la proposition de loi «donnant le droit à une fin de vie libre et choisie». Déposée en octobre 2017 le texte a finalement passé les obstacles et va se retrouver discuté en séance à l’occasion d’une niche parlementaire. Le groupe parlementaire LR a déposé plusieurs milliers d’amendements et selon toute vraisemblance empêchera que l’examen de cette proposition de loi aille à son terme. Voici pour ce qu’on pourrait appeler les données initiales.
Alors qu’en commission un certain consensus semblait se dessiner pour voter cette proposition de loi, le dépôt a posteriori de tous ces amendements a transformé la nature des débats qui s’est déplacé du sujet de la fin de vie vers un combat disons d’ordre technique.
Pour bien comprendre de quoi il s’agit expliquons ici que pendant longtemps c’est le gouvernement qui a tenu les rênes de l’agenda de l’assemblée nationale. Face à ce monopole – et pour donner un tant soit peu un vernis de contre-pouvoir – les groupes parlementaires d’opposition et minoritaires peuvent décider des textes qu’ils souhaitent voir discuter en séance. Ces moments sont appelés des niches et c’est avec l’une d’elles que la proposition de loi «donnant le droit à une fin de vie libre et choisie» arrive dans l’hémicycle. Mais un texte examiné en niche ne l’est pas dans les conditions habituelles du débat, précisément à cause de son positionnement puisque la niche est limitée dans le temps à une journée. Ceci explique pourquoi le groupe LR a inondé le texte d’amendements car ainsi l’assemblée nationale ne pourra pas aller au bout des débats et sera dans l’obligation de les abréger, autant dire qu’il n’y aura pas de vote.
Vous vous en doutez les défenseurs de cette proposition de loi crient à l’obstruction, accusent le groupe LR de tout faire pour torpiller ce texte. Si nous pouvons leur donner raison sur le fond je veux dire ici que mon analyse est différente et qu’il faut accuser en premier lieu non pas les députés qui ont déposé ces milliers d’amendements mais le règlement de l’assemblée nationale qui ne donne pas ici les mêmes chances qu’un texte gouvernemental.
C’est bien le règlement de l’assemblée nationale qui fige dans le temps l’examen des niches, qui fait qu’un texte n’est pas débattu de la même manière en fonction de son origine. C’est bien le règlement de l’assemblée nationale qui ne permet pas au débat – même virulent – de s’installer. Pourtant l’assemblée nationale devrait être le lieu suprême du débat, arguments contre arguments, orateurs contre oratrices. J’ai été un des rares à critiquer les dernières évolutions du règlement de l’assemblée nationale qui par ces nouvelles dispositions réduit encore plus le temps du débat.
Pour en revenir au texte sur la fin de vie ce n’est pas après le groupe LR qu’il faut en vouloir, non. Veulent-ils discuter sur 2 000 amendements, 3 000 ? Soit ! Au vu du sujet que valent ces quelques heures de plus, ces quelques séances de nuit supplémentaires si au final le texte est voté ? Souvenons-nous de Christine Boutin et de son discours de près de 4 heures pour expliquer son opposition au PACS : cela n’aura retardé que de 4 heures le vote du texte. Souvenons-nous des 110 heures de débat sur la loi autorisant le mariage pour tous. Cela n’a pas empêché le texte d’être finalement adopté.
Depuis le nouveau règlement en place la discussion générale d’une loi est limitée à 10 minutes par orateur, 10 minutes pour argumenter quel que soit le texte, qu’il soit strictement technique ou sociétal comme ici. 10 minutes pour un groupe entier, y compris le groupe majoritaire ! Cette toise est intolérable à mes yeux et je milite pour le retour du temps libre à la tribune, au moins lors de la discussion générale. Que ceux qui veulent gagner du temps en perdent à discourir durant des heures, la marche de la loi est inéluctable et ce n’est là dirais-je que reculer pour mieux voter.
Tout texte de loi qui arrive en séance devrait être débattu, amendé pour être au final, soumis au vote des députés. Tout sujet doit pouvoir se discuter à l’assemblée nationale tant qu’à la fin des débats, on vote. La tristesse est de constater que c’est le règlement qui ne permet pas cela, avant même l’opposition politique.

À propos de VincentB

"Né citoyen d'un Etat libre, (...) quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d'y voter suffit pour m'imposer le devoir de m'en instruire" [Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social]
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