Quand le mariage pour tous change le mariage de tous

C’est fait, l’assemblée nationale a adopté le projet de loi « ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe« . Beaucoup a été dit sur ce texte, trop parfois.  Je veux lire ici ce projet de loi sous un angle original, celui consistant à regarder ce que le mariage pour tous change au mariage de tous. En effet, aussi étrange que cela puisse paraître le texte voté ce jour change le mariage. Démonstration.

Le projet de loi ajoute au code civil un chapitre IV bis, dénommé « Des règles de 
conflit de lois » dont les articles 202-1 et 202-2, s’ils ont été rédigés avec à l’esprit le mariage de couples de même sexe s’imposera de facto à tous les couples. Nous trouvons aussi ce que les esprits tatillons dénonceront comme cavalier législatif avec ce nouvel article 34-1 précisant que « les officiers de l’état civil (…) exercent leurs fonctions sous le contrôle du procureur de la République« . Nous sommes ici très loin du mariage pour tous, puisque nous entrons dans la tutelle des officiers d’état civil. Autre modification d’importance, le lieu de célébration du mariage. Les débats l’ont montré, cet article a été institué pour permettre de contrer ce qui a été présenté comme une « clause de conscience« . Ainsi, pour pouvoir faire face à un maire réticent à célébrer le mariage d’un couple de même sexe, le législateur a démultiplié les mairies où la célébration sera possible. Le principe d’égalité jouant, cela s’appliquera à tous les mariages.

Je me dois par contre d’être très critique sur la modification de l’article 165 du code civil tel que rédigé par le texte de loi. Un seul mot change et toute la cérémonie est modifiée ai-je envie de dire. De quoi s’agit-il ? le mieux est de livrer ici l’article avant et après le vote de la loi afin de vous permettre de comprendre ce qui a changé, dans le texte et dans l’esprit.
Avant : « Article 165 : Le mariage sera célébré publiquement devant l’officier de l’état 
civil (…) »
Après  : « Article 165 : Le mariage sera célébré publiquement lors d’une cérémonie 
républicaine par l’officier de l’état civil (…) »
Les débats ont été vifs autour de ce changement et les arguments dénonçant cette
évolution sont recevables d’après moi. Car enfin préciser en 2013 que la cérémonie
du mariage sera républicaine laisse à penser que les mariages célébrés avant
cette date ne l’étaient pas. Mais plus encore on ne voit pas ce qu’il faut désormais changer
lors de la célébration. Car enfin la cérémonie telle que nous la connaissons a lieu
en mairie – donc dans un bâtiment officiel de la République – devant un officier d’état civil
portant sur lui la marque de sa fonction (l’écharpe tricolore), lors d’une cérémonie publique (portes ouvertes), et après en avoir fait la publicité (publication des bans). Alors qu’a voulu dire le législateur ici ? Que devra faire le maire demain qu’il ne faisait pas hier ? Je m’interroge encore.
Dernier détail – de taille – modifiant le mariage de tous, la lecture des articles du code civil lors de la célébration. Là aussi on a profité du passage du projet de loi devant les parlementaires pour changer cela, ce qui vous en conviendrez ne s’imposait pas non
plus. Mais enfin, il faut conserver à la célébration son « caractère festif« * et donc ne plus lire devant les futurs époux l’article 220 du code civil. Que disait cet article, qui passe désormais aux oubliettes ?
« Article 220 : Chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement. La solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant.
Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante. »
L’article est long, certes, mais quitte à changer la loi on aurait pu en réduire la lecture au seul premier alinéa. Le mariage s’il est fait de droits est également fait de devoirs et préciser que « toute dette contractée par l’un oblige l’autre solidairement » ne fait à mes yeux qu’ajouter au caractère solennel de l’instant.
Un autre point largement discuté entre les deux chambres aura été le nom patronymique, soit des époux, soit de l’enfant adopté . C’est ainsi que nous avons désormais dans le code civil un article 225-1 qui fera certainement la fortune des généalogistes : l’article précise que « Chacun des époux peut porter, à titre d’usage, le nom de l’autre époux, par substitution ou adjonction à son propre nom dans l’ordre qu’il choisit. » Prenons l’exemple de M. Durand-Ruel se mariant avec M. Martin : chacun choisit le nom d’usage qu’il veut. M. Durand-Ruel pourra une fois marié se faire appeler M. Martin et M. Martin n’étant plus célibataire pourra faire jouer cet article pour se faire désormais appeler M. Durand-Ruel… Une fois encore je précise que ce changement s’imposera à tous les mariages, quels que soient les sexes des futurs époux.
La filiation aussi est modifiée par ce texte, souvenez-vous des débats parfois houleux, souvent changeant autour du nom patronymique à donner à l’enfant adopté. Vous noterez – comme moi sans doute – que le législateur est soit prévenant soit pervers (oh !) car il prévoit le cas où après sans doute bien des obstacles à passer, le couple marié se déchire pour savoir quel nom portera l’enfant qu’ils auront sans doute eu tant de mal à adopter. Mais quoiqu’on en dise nous sommes à nouveau devant un article de loi qui change pour tous.
Finalement, le mariage pour tous change t-il le mariage de tous ? D’un point de vue strictement législatif je pense en avoir fait la démonstration. Est-ce pour autant une modification d’importance, peut-on aller jusqu’à accuser le législateur d’avoir changé l’esprit du mariage ? A dire vrai je ne le pense pas, mais seul l’avenir le dira.

* Cela a été dit ainsi lors des débats à l’assemblée nationale 

À propos de VincentB

"Né citoyen d'un Etat libre, (...) quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d'y voter suffit pour m'imposer le devoir de m'en instruire" [Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social]
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