Un avenant qui change tout.

Il a été publié au journal officiel du 22 décembre 2021 un décret « approuvant l’avenant à la convention passée entre l’Etat et la Société SAPN pour la concession de la construction, de l’entretien et de l’exploitation d’autoroutes et au cahier des charges annexé. »
Sous ce titre abscons se cachent bien des détails et il n’est pas illogique de supposer qu’il y a là plus qu’un simple avenant. Cette manière de passer par un décret, donc de sauter la haie parlementaire est hélas devenue une habitude, a fortiori en matière de concession autoroutière. Cela a d’ailleurs été dénoncé par la commission d’enquête sénatoriale chargée d’en étudier les conséquences.
Long de 10 pages avec ses annexes, ce douzième avenant (!) modifie 18 articles de la convention initiale (« convention passée le 24 mars 1995 entre l’Etat et la société des autoroutes Paris-Normandie (SAPN) pour la concession de la construction, de l’entretien et de l’exploitation d’autoroutes »). Tel un lanceur d’alerte je souhaite attirer l’attention de mes lecteurs* sur le contenu de certains articles de cet avenant.

Article 7
De ce que j’en ai déduis le concessionnaire devra verser à l’état (au concédant) « une compensation au titre de l’avantage financier éventuel en découlant. » Découlant d’investissements planifiés mais pas réalisés selon un échéancier « défini à l’annexe W bis.3 ».
Toutefois, et bien que l’article mentionne une possible compensation en numéraire, le concessionnaire pourra épargner sa trésorerie grâce au paragraphe petit c) : « Le cas échéant, la société concessionnaire réalise des investissements supplémentaires non prévus au cahier des charges sur le réseau concédé (…). Alternativement, le concédant et la société concessionnaire peuvent convenir d’affecter ladite compensation au dispositif de partage du risque prévu à l’article 28 bis du présent cahier des charges (…) ».
Ainsi, en vertu de cet article le concessionnaire peut décider de travaux « non prévus au cahier des charges » pour compenser ceux qu’il n’aurait pas fait et qui – eux – étaient au cahier des charges, ce qui est pour le moins étrange. Cerise sur le gâteau, « Le montant de la compensation est calculé par la société concessionnaire (…) ». Il y a certes un contrôle mais c’est tout de même le concessionnaire qui distribue les cartes. Et encore n’avons nous pas lu l’alternative de l’article 28bis cité dans le texte. Un peu de patience…

Article 9
Vous serez sans doute ravis d’apprendre que désormais il ne faut plus dire « barrière de péage » mais « diffuseur ». Dont acte.

Article 23
J’ai conscience d’être à la limite du procès d’intention mais tant pis. Car la lecture de cet article laisse à penser que l’avantage est pour le concessionnaire et l’inconvénient pour le concédant, autrement dit l’état, autrement dit nous. Jugez par vous même (article cité in extenso).
« Le montant des avances remboursables mentionné au 23.1 est réputé hors taxes et non soumis à la TVA et est affecté en totalité au financement des investissements mentionnés à l’article 9.9. A compter de l’entrée en vigueur du douzième avenant, la société concessionnaire est ainsi libérée de toute obligation de remboursement des avances remboursables mentionnées à l’article 23.1. »
Pour ce qui est « des investissements mentionnés à l’article 9.9. » tout se passe en réalité à l’article 27 que nous verrons plus loin. Quant au douzième avenant qui va libérer le concessionnaire de « toute obligation de remboursement » c’est celui qui est publié ici.

Article 25
C’est l’article qui définit le montant de la hausse des tarifs de péage. Il est piquant de noter que le texte prévoit « une majoration ou une minoration » alors que depuis la privatisation des autoroutes il y a toujours eu augmentation et jamais eu minoration. Mais le cas reste prévu au contrat, sait-on jamais !

Article 27
C’est l’article phare de cet avenant, sa raison d’être. Il autorise le concessionnaire à mettre en place « un dispositif de péage permettant l’identification des véhicules et la perception du montant du péage sans recours à une barrière physique ». Ce n’est donc rien d’autre que la fin des péages tels que nous les connaissons aujourd’hui. C’est certes une expérimentation mais elle aura été décidé par décret, sans débat public ou parlementaire. Elle est de plus d’application immédiate ou presque puisque « La société concessionnaire est autorisée à déployer un dispositif de péage en flux libre sur les sections et bretelles mentionnées à l’annexe FL1. »

Article 28
Cet article traite des modalités de paiement du péage en flux libre. J’avoue n’avoir rien relevé de suspect.

Article 28bis
Reprenons un instant : l’idée du flux libre, d’abandonner les péages tels que nous les connaissons est une idée du concessionnaire, pas de l’état. Vous voyez les économies que cela peut représenter en terme de main d’oeuvre, de maintenance du bâti. Mais sans doute n’est-ce pas encore assez car avec cet article 28bis « il est mis en place, entre l’autorité concédante et la société concessionnaire, un dispositif de suivi et de partage du risque lié au non-paiement du montant du péage spécifique à la perception du péage au moyen d’un dispositif de péage en flux libre » et ce « Compte tenu du caractère innovant et des incertitudes liées à l’effet du déploiement d’un dispositif de péage en flux libre sur la perception du péage par la société concessionnaire ».
Difficile d’être plus clair : Si c’est économiquement viable alors le concessionnaire en tirera seul les bénéfices et si ça ne l’est pas les pertes seront partagées. Relisez maintenant l’article 7 présenté au début de ce billet : « Alternativement, le concédant et la société concessionnaire peuvent convenir d’affecter ladite compensation au dispositif de partage du risque prévu à l’article 28 bis du présent cahier des charges (…) ». La conclusion est limpide : tout est écrit pour que le concessionnaire ne débourse pas un seul centime en numéraire dans le cas où il devrait le faire.

Article 30
J’avoue ne pas avoir cherché quels sont les « contrats » dont il est question dans l’article mais il y a matière à soupçonner encore un avantage pour le concessionnaire et un nouvel inconvénient pour l’état. C’est que « La durée de ces contrats peut excéder le terme normal de la concession ». ce qui en soi devrait être justifié. Mais le dernier alinéa me fait tiquer : « A compter de la date d’échéance de la concession, l’Etat est, pour la durée du contrat restant à courir, substitué à la société concessionnaire dans tous ses droits et obligations pour l’exécution des engagements pris par elle en vue de la construction, l’exploitation et l’entretien des installations annexes. ».
En première analyse je déduis de ceci que si le concessionnaire démarre une construction, une exploitation ou un entretien quelconque mais que la fin du contrat arrive, alors l’état se substitue au concessionnaire « dans tous ses droits et obligations pour l’exécution des engagements pris par elle ». Etrange.

Article 30 bis
Là aussi je crie peut-être « au loup ! » pour rien mais lire que « Dans le deuxième alinéa, les mots : « consentir à » sont remplacés par les mots : « conclure librement avec » » résonne étrangement à mon oreille, surtout que le paragraphe suivant précise bien que « Dans ce même alinéa, les mots : « et pour une période n’excédant pas la durée de la présente concession » sont supprimés ». En tout état de cause l’oeil d’un spécialiste de la question serait fort utile pour dire ce qu’il en est véritablement.

Article 30 ter
Vertueux le concessionnaire ? Sans doute puisque l’article est titré « Activités de production d’énergies renouvelables ». Ainsi, « la société concessionnaire peut délivrer des titres d’occupation du domaine public dont la gestion lui est confiée en application de la présente concession, en vue de permettre l’exercice sur le domaine public autoroutier concédé d’activités dont l’objet principal est la production d’énergies renouvelables. » En outre, « La durée de ces titres peut excéder le terme normal de la concession ».
C’est sympathique d’autoriser l’implantation d’éoliennes ou de panneaux photo-voltaïques, non ? Attendez de lire le second alinéa avant de vous réjouir : « La société concessionnaire fixe librement le montant de la redevance domaniale d’occupation. Toutefois, 30 % des sommes perçues à ce titre sont reversées annuellement à l’Etat lorsque les activités visées au premier alinéa sont exercées sur des terrains objet de travaux de démolition ou de déconstruction financés, en tout ou partie, par l’usager de l’autoroute au moyen d’une augmentation additionnelle des tarifs de péage ou d’un allongement de la durée de la concession ».
Voilà, le concessionnaire peut fixer « librement le montant de la redevance domaniale d’occupation », donc tirer des revenus autres que celles de l’exploitation autoroutière stricto sensu. Quant aux 30% de reversion à l’état ce sera si et seulement si ce sont sur « des terrains objet de travaux de démolition ou de déconstruction financés, en tout ou partie, par l’usager de l’autoroute au moyen d’une augmentation additionnelle des tarifs de péage ou d’un allongement de la durée de la concession ». Il suffira donc au concessionnaire de laisser s’implanter les éoliennes ou autres panneaux photo-voltaïques sur des terrains qui ne sont pas « objet de travaux (…) » pour récupérer 100% de la redevance domaniale d’occupation dont il aura auparavant librement fixé le prix …

Article 37
Nous avons vu à l’article 27 que le concessionnaire allait mettre en place des péages à flux libre. L’article 37 précise que « La société concessionnaire réalise les investissements (…) nécessaires à la réalisation, l’exploitation, l’entretien et la maintenance d’un dispositif de péage en flux libre et dont la durée d’utilisation est supérieure à la durée de la concession. » En outre, «Ces biens de retour reviennent à l’autorité concédante à la fin de la concession. » Très bien, non ? Non, pas bien du tout car il faut lire la suite : « A cette date, la société concessionnaire a droit à une indemnité correspondant à la valeur nette comptable des biens (…)». Après tout cela procède d’une certaine logique. La concession arrivant à terme il est logique de payer une sorte de reliquat pour l’utilisation d’un bien construit au départ par le concessionnaire. Là où le bât blesse c’est que « Le montant de cette indemnité, fixe, forfaitaire et net d’impôt, est égal à cinquante-cinq (55) millions d’euros hors taxes (valeur 31 août 2033). »
Fixe, forfaitaire, net d’impôt : tout est dit. Le concessionnaire sait en 2021 que cet article va lui rapporter en 2033 55 millions d’euros, et ce quoi qu’il arrive. On peut se demander s’il n’y a pas là une ristourne déguisée puisque l’annexe FL1 parle d’une opération à 130 millions d’euros, ce qui au final permet au concessionnaire de réaliser une économie substantielle.

Article 39
Toujours sur ces futurs péages à flux libre, l’état sort le bâton : « En cas de non-respect par la société concessionnaire de l’une des dates résultant de l’application de l’article 9.9 du présent cahier des charges, l’autorité concédante peut exiger de celle-ci (…) le versement d’une pénalité journalière. »
Cela reste toutefois un bâton en plastique mou car « Le montant de la pénalité par jour de retard ne peut être supérieur à 7 500 € valeur juillet 2018. » C’est quand même une somme car cela représente 225 000 Euros par mois. Mais sans doute l’état a t-il quand même des remords car « Le montant cumulé(…) ne pourra excéder 1 350 000 € (…). » soit 6 mois de retard.

Pour résumer ce que j’ai compris de ce douzième avenant entre la SAPN et l’état.

  • Le concesionnaire pourra mettre en place un système de « péage à flux libre ».
  • Comme il s’agit d’une expérimentation seules les pertes économiques seront partagées avec l’état mais pas les bénéfices.
  • Pour la mise en oeuvre de tout ceci la SAPN devra réaliser les investissements nécessaires, et à ses frais. Toutefois, à la fin de la concession en 2033 ces investissements deviendront propriété de l’état, moyennant un prix forfaitaire de 55 milllions d’euros.
  • En cas de retard dans la réalisation de ces investissements le concessionnaire paiera 7 500 euros par jour de retard durant 6 mois au maximum.
  • Enfin, la SAPN pourra autoriser la construction d’éoliennes et/ou de panneaux photo-voltaïques tout en percevant une redevance dont elle reversera ou pas 30% à l’état.

 


* féminin implicite et ce depuis que ce blog existe.

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Mettre fin au déterminisme social à l’école, une de mes utopies.

C’est un court échange sur Twitter qui me décide à écrire, à propos d’un billet de mon blog sur le déterminisme social. Je veux transformer la réflexion engagée en question : Peut-on dispenser dans un lycée de la banlieue parisienne le même enseignement qu’au Lycée Louis-le-Grand de Paris ? Au risque de passer pour utopiste je veux répondre oui, ou du moins dire que je souhaite de toutes mes forces que nous tendions vers cela. Mais examinons plus avant les raisons qui font que ce n’est pas possible car elles éclaireront sur ce qu’il faudrait faire pour rendre cela possible.
Pour commencer, qu’est-ce qui empêche aujourd’hui de donner aux élèves d’un lycée de banlieue le même cours de mathématiques ou de français que celui dispensé à Louis-le-Grand ? En théorie rien du tout. En pratique ce qui vient en premier à l’esprit est le niveau scolaire des élèves du lycée de banlieue. Pour le dire de manière abrupte ils ne comprendraient rien au cours. En seconde analyse – presque aussi rapide que la première – c’est l’acceptation de suivre un tel cours qui ne passerait pas. D’abord pour cette histoire de niveau mais aussi parce que le decorum entre ces deux lycées est radicalement différent ; la manière concrète de dispenser le cours est bien trop éloignée de celle que les élèves de banlieue ont l’habitude de recevoir. Le fossé est trop large pour être comblé du jour au lendemain et il y a toutes les chances pour que les élèves ne jouent pas le jeu consistant à écouter le cours ; bref, à vouloir apprendre. Je vais donc poser la question d’une autre manière : Sans tenir compte du niveau scolaire, combien d’élèves de banlieue souhaiteraient recevoir le même enseignement que celui dispensé au lycée Louis-Le-Grand ? Je suis prêt à parier que la réponse n’est pas de 100%, tout bonnement parce qu’il y a un réel effort intellectuel à faire et que peu s’en sentent capables. Nous trouverions aussi dans notre étude une part d’élèves qui ne comprendraient pas l’utilité d’un tel enseignement.
On le voit, la cause profonde de tout ceci est bien entendu l’environnement social. Il suffit pour cela de se tourner vers les élèves de Louis-le-Grand eux-mêmes. Pour ces derniers la question de l’utilité de l’enseignement ne se pose pas car elle va de soi. Certains diraient même qu’elle est indispensable pour assouvir leur soif d’apprendre ou du moins leur envie d’acquérir assez de savoir en vue de poursuivre leur cursus.
Ai-je enfoncé une porte ouverte, découvert l’eau tiède ou le couteau à couper le beurre ? Oui et non. « Oui » car c’est une évidence et « Non » car rien n’est fait pour changer cela d’un iota. Ici j’en veux beaucoup à l’éducation nationale qui a abandonné – il n’y a pas d’autre mot – les élèves de banlieue en leur dispensant un enseignement à leur niveau. Et forcément j’en veux à ces derniers de s’en contenter, de ne pas réclamer dans leur école d’abord, dans leur classe ensuite la présence à leurs cotés d’un très bon élève*.
Posons-nous aussi la question de savoir « pourquoi ils n’y comprendraient rien ? ». Il n’est quand même pas acceptable de s’entendre répondre que les élèves banlieusards seraient plus idiots** que les élèves de Louis-le-Grand. C’est l’environnement social dans son ensemble – et cela englobe l’environnement familial – qui est l’unique discriminant.
A titre d’exercice de pensée imaginons que chaque année chaque meilleur élève*** de chaque lycée de banlieue se voit offrir d’aller passer l’année scolaire suivante à Louis-le-Grand. Cet élève aura t-il la capacité de suivre l’enseignement du lycée parisien ? J’ai la faiblesse de croire que oui dans la plupart des cas et ce pour plusieurs raisons. Primo la satisfaction d’intégrer Louis-le-Grand, de se savoir reconnu comme un élève capable ; je compte en secundo sur un surplus de motivation pour faire la démonstration qu’il est possible en venant d’un modeste lycée de banlieue de suivre la scolarité de Louis-le-Grand sans décrocher. Enfin tertio, être au contact quotidien des autres élèves de ce lycée ne peut être qu’enrichissant.
Car pour en revenir au point de départ je veux aussi combattre le retrécissement de la pensée. Non, les élèves des lycées de banlieues ne sont pas des nuls en puissance quand bien même ils seraient les premiers à l’admettre. Je dis cela parce qu’on ne cherche plus à les tirer vers le haut, on a abandonné la partie. Et drame par-dessus le drame, les élèves eux-mêmes jettent l’éponge avant tout par paresse intellectuelle. Cette paresse intellectuelle qui n’est d’ailleurs que la fille naturelle du déterminisme social. Famille pauvre financièrement, pauvre socialement, pauvre intellectuellement… dans ces conditions comment voulez-vous que ces enfants s’en sortent scolairement parlant quand de surcroît on leur délivre un enseignement « à leur niveau » ?
La première marche est la plus haute : C’est celle qui consiste à dire à ces élèves que « oui », ils peuvent élever leur niveau intellectuel, « oui » l’école et les enseignants devraient être là pour ça, pour tirer le maximum d’entre eux le plus haut possible sans pour autant transformer cela en une compétition impitoyable.
Mais je suis déjà d’accord pour dire que si c’est impossible c’est aussi parce que les exemples de réussite à leur porte manquent. Médiocres eux-même, ils n’ont autour d’eux que d’autres élèves tout aussi médiocres. Retournons un instant à Louis-le-Grand pour comparer : Cette école a une histoire, un passé. La liste des élèves ayant réussi est interminable. Par conséquent chaque élève de ce lycée a la certitude de cotoyer dans l’école au moins un autre élève dont la réussite sera éclatante. Peut-on perdre pied à Louis-le-Grand ? Dans la plupart des cas, non. Parce que tout a été fait en amont pour que cela se passe bien, lisez ici avant même le premier cours dans ce lycée. L’élève en question a bénéficié dès son plus jeune age d’une famille à l’aise intellectuellement, souvent à l’aise financièrement, sans parler d’un environnement social enrichissant.
Tout ceci n’existe pas dans notre lycée de banlieue. Souvent de construction récente – seule bonne nouvelle – il n’a pas encore d’histoire, sans compter que personne ne cherche à « tracer » les rares élèves qui auraient réussi et pourraient ainsi servir d’exemple aux autres. Cette différence, toute invisible qu’elle est n’en demeure pas moins réelle. Pour reprendre une expression digne de la banlieue il n’y a pas dans ces lycées de « grand frère » à prendre comme modèle et cela est bien regrettable.


* J’ai été élève d’un tel lycée de banlieue durant les années 1980. « Il » – je parle là du bon élève – était dans ma classe. Sa régularité à toujours obtenir les meilleures notes quelle que soit la discipline forçait le respect de tous et tirait la classe vers le haut.
** Au sens clinique du terme, cela s’entend.
*** Féminin implicite.

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Primaire populaire : un vote mais aussi un programme.

On l’oublie certainement mais la primaire populaire n’est pas qu’un vote ; c’est aussi un programme qu’est censé appliquer celui* qui va rassembler la majorité des suffrages**. Ce programme est constitué de 10 « ruptures« , terme employé par la primaire populaire. Je vais ici en commenter certaines.

Rupture n°2
« Une vraie loi climat pour reconvertir notre économie et accompagner nos entreprises dans la transition. »
Je conteste le qualificatif de « vrai » car il est inapproprié. Oh je vois bien le coté militant mais il faudrait plutôt réclamer une « autre » loi climat, ce serait plus juste. Personne n’est détenteur de la vérité et sûrement pas dans ce domaine.

Rupture n°3
« Mettre en place un revenu de solidarité dès 18 ans. »
Idée généreuse mais qui va vite se heurter à sa mise en place concrète. Car si l’idée est d’avoir un revenu suffisant pour permettre de vivre tout en étudiant on doit en déduire qu’il permettra tout aussi bien de vivre sans étudier, ce que les jeunes ne manqueront pas de remarquer dès la première année…

« Assurer un volume minimum gratuit pour l’eau/gaz/électricité avec une progressivité des tarifs pour les ménages. »
Oui, je suis pour cette mesure car je la trouve juste. Je veux seulement nuancer la proposition car en fait de gratuité je préconise plutôt que les x premiers Kwh ou les y premiers m3 soient inclus dans l’abonnement.

Rupture n°4
« Garantir un emploi pour toutes et tous »
Je dois avouer que cette proposition m’effraie quelque peu. « Garantir » un emploi est-ce obliger à occuper un emploi ? A priori non. Une femme qui vient d’avoir un enfant peut par exemple décider d’aller plus loin que le congé parental et quitter son emploi. Elle souhaite ensuite retrouver une activité : comment cela se passe t-il avec cette proposition ? Est-ce qu’il s’agit d’un emploi opposable sous la forme « l’état n’est pas capable de me proposer un emploi alors je perçois une indemnité en retour » ? Je pense plutôt que cette mesure est totalement inapplicable, voire démagogique.
« (…) instaurer le congé parental égalitaire et obligatoire. » J’imagine qu’il faut entendre là que ledit congé doit être pris à part égale par chacun des membres du couple. C’est à mes yeux une régression par rapport au droit actuel puisqu’aujourd’hui cela peut être fait par choix (oui, le père peut prendre un congé parental). Avec cette proposition plus de choix possible, ce sera imposé à tous les couples…

Rupture n°5
« Augmenter les salaires [dans] la santé et de l’éducation. »
La promesse est certes plus facile à écrire qu’à financer. Mais soyons précis : je ne suis pas « contre » l’augmentation des salaires de ces catégories ; je suis dubitatif sur la manière de faire.

Rupture n°7
« Restaurer et moderniser l’ISF pour qu’il génère 10 à 20 milliards d’euros par an (au lieu de 4 milliards avant la réforme Macron). »
Tous les économistes et les spécialistes de la question vous le diront, la difficulté réside dans le dosage entre taxation et évasion – légale – des plus grosses fortunes de notre pays. Il est proposé ici de doubler au minimum l’ancien ISF. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner que si cela est mis en pratique nous verrons aussitôt les assujetis concernés mettre en place des parades, des solutions de contournement. Alors oui, le candidat vainqueur de la primaire populaire pourra réinstaurer l’ISF mais je doute qu’il puisse générer plus que 4 milliards d’euros de recettes.

« Prélever un impôt sur le revenu (IR) plus progressif. »
Je suis pour cette mesure mais avec une condition préalable : c’est que tout le monde paye cet impôt, suivant en cela à la lettre l’article 13 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789***. J’ai même une idée du minimum de perception : 10 fois le SMIC horaire.

« Renforcer les moyens de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. »
Là aussi il est impossible d’être contre cette mesure. Mais est-ce aujourd’hui un manque de volonté ou un manque de moyens ?

Rupture n°8
« Instaurer (…) la reconnaissance du vote blanc contraignant »
J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire ici, je suis très opposé à cette mesure. Je vous renvoit à mon billet de blog pour y lire l’argumentation que j’y développe.

« (…) la limitation à deux mandats consécutifs pour toutes les charges publiques »
Je vois bien l’idée derrière cette mesure mais je trouve que c’est au final ne pas faire confiance aux électeurs : Ce serait plutôt à eux de décider par leur vote s’ils veulent encore de la même personne ou pas. Cela entre d’ailleurs en contradiction avec l’idée même du RIC, réclamé pour – entre autres – donner le dernier mot au peuple.

« le changement en profondeur des modalités de financement des partis pour plus de transparence et d’indépendance »
Je suis très curieux d’en savoir plus sur cette proposition car je ne vois pas ce que la primaire populaire reproche au système actuel. On ne va quand même pas autoriser les entreprises à financer – même en toute transparence – les partis politiques ! Dès lors le financement ne peut venir que des particuliers et de l’état, comme aujourd’hui… Quant à la transparence je rappelle s’il en était besoin qu’elle est garantie par la Haute Autorité sur la Transparence de la Vie Publique.

« la création de bons pour l’égalité démocratique, que chaque citoyen et citoyenne pourra allouer chaque année au mouvement politique de son choix lors de sa déclaration de revenus. »
J’ai le plus grand mal à comprendre où se trouve la rupture avec le système actuel puisque les dons aux partis politiques sont déjà déductibles de l’impôt sur le revenu. A moins que l’allocation de ces bons ne soit obligatoire ?

Rupture n°9
« (…) convoquer une convention citoyenne pour le renouveau démocratique »
Décidément le « panel de citoyens tirés au sort » a le vent en poupe et je ne connais pas de parti politique qui n’en a pas au moins un à son programme. Ici c’est pour discuter du « renouveau démocratique », ailleurs c’est pour remplacer l’actuel conseil constitutionnel
Il y a dans cette rupture n°9 un court mot sur le RIC, pour lequel j’ai déjà fait part de mes réticences.

« Changer les visages du Parlement grâce à des critères de représentativité »
Est-ce là une forme de discrimination positive ? Ou alors interdire à un candidat de se présenter au motif qu’il ne rentre pas dans les « critères de représentativité » ?
Je pense qu’il va être difficile constitutionnellement parlant d’aller au-delà de l’égalité homme-femme en matière électorale.

« constitutionnaliser la séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif. »
On nous l’apprend très vite à l’école, nous vivons dans une société où ces pouvoirs sont déjà séparés. Certes cela n’est pas écrit textuellement dans la constitution mais j’imagine que la primaire populaire veut aller au-delà. Seulement elle ne précise pas comment.


*Féminin implicite, comme partout sur ce blog
**Je sais que le vote est « par approbation » ; cela ne change rien au fait qu’il s’agit de désigner un candidat.
*** « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

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Une fraude en 2022 ? Non.

La campagne électorale officielle pour l’élection présidentielle de 2022 n’a pas commencé et encore moins le vote que déjà des voix s’élèvent pour annoncer une supposée fraude. Certes ces dernières ne sont pas nombreuses mais elles existent et tout porte à croire qu’elles vont prospérer dans les semaines à venir. C’est donc avec l’envie de couper court autant que possible à ces affirmations que je rédige ce billet.
Il y a un seul point sur lequel mes futurs détracteurs et moi seront d’accord : c’est que l’objectif de cette fraude – si fraude il y avait – consisterait à faire réélire Emmanuel Macron. Si pour eux cela ne sera possible qu’en trichant, pour moi cela sera possible sans tricher. Autrement dit je considère que si l’actuel président de la république est réélu ce sera par le choix des électeurs dans l’isoloir et non pas à cause d’une quelconque tricherie.
Les données du problème étant posées regardons tout cela d’un peu plus près. Les complotistes* utilisent l’argument d’une réunion – officielle par ailleurs – entre le ministre de l’intérieur et le président du conseil constitutionnel pour développer l’idée que ces deux personnes fomentent les grands principes d’une fraude, entre autres à partir des procurations ou d’un éventuel vote par correspondance. Sauf que la France n’est pas les Etats-Unis et qu’il est impossible – même à un complotiste – d’affirmer que ce qui aurait fonctionné outre-Atlantique fonctionnera dans notre hexagone. C’est qu’il existe deux armes redoutable contre ces rumeurs : le code électoral et les données publiques.
Le code électoral, oui ! La situation sanitaire risque d’imposer des aménagements mais ces derniers ne pourront être que de nature réglementaire. C’est en ce sens que le code électoral nous protège, tous autant que nous sommes. Si nous regardons par exemple le vote par correspondance, nous voyons tout de suite qu’il ne peut pas exister sans une loi. Cela ne veut pas dire qu’on en parle pas ; cela veut dire que s’il était mis en place il ne pourrait pas l’être cette année. Il n’y aura donc pas de vote par correspondance possible lors de cette élection. Voyons alors du coté du vote par procuration. Là aussi les modifications ne pourront être que de nature réglementaire. Et si pour les complotistes aménagement veut dire fraude je crains qu’ils en soient pour leurs frais car cette manière de voter a toujours été marginale. Il en sera de même en Avril 2022.
Je pense plutôt que la réunion a porté sur d’autres sujets comme les « gestes barrières » par exemple. Le président du bureau de vote sera chargé de les faire respecter mais pour cela il faudra que ce soit écrit, « officiel » en quelque sorte. La rencontre entre le ministre de l’intérieur et le président du conseil constitutionnel n’avait pas d’autre but que de regarder ces aspects-là du dossier.
Le passé l’a démontré, un maire ou un député** tenant à tout prix à sa réélection pouvait être tenté de manipuler les résultats d’un bureau de vote voire de plusieurs autres, souvent de manière artisanale et par la force des choses, flagrante. Les cas avérés étudiés par la justice ont conduit à annuler des élections mais seulement au niveau d’une circonscription. Ceci acté on réalise alors que pour une élection présidentielle cela demande une organisation d’une toute autre envergure. Ce à quoi les complotistes vont répondre qu’il suffit de faire en grand ce qui se faisait en petit et qu’après tout peu importe la méthode, ce qui compte c’est le résultat : il suffira de trafiquer les chiffres au niveau même du ministère de l’intérieur en charge de collecter les votes et le tour est joué. C’est là qu’interviennent les données publiques, la seconde arme anti-fraude, ce même ministère ayant diffusé sur son site internet les résultats des élections de 2017 bureau de vote par bureau de vote. Vous n’imaginez sans doute pas la richesse d’informations que cela recèle : Dans combien de bureaux Emmanuel Macron n’a t-il eu aucune voix ? Où Marine le Pen a t-elle eu le plus de bulletins ? Dans quel bureau de plus de 10 000 électeurs inscrits a t-on le plus voté ? Voilà quelques exemples de questions auxquelles le fichier permet de répondre. Mais au-delà de ces interrogations il dessine une véritable sociologie du vote, commune par commune, département par département.
Ainsi, pour frauder en 2022, le ministère de l’intérieur va t-il devoir bâtir un fichier qui – tout en tenant compte des évolutions sociologiques de la population depuis 5 ans – permettra de dire qu’Emmanuel Macron est réélu. Avoir la complicité d’une dizaine ou même d’une centaine de présidents de bureaux de vote ne sera pas suffisant, d’autant plus que de tels résultats ne seraient pas en cohérence avec les bureaux de vote voisins qui – eux – n’auraient pas triché. C’est l’autre volet utilisé par les complotistes : la fraude est tellement parfaite qu’elle en devient invisible, sauf pour eux qui ont tout deviné depuis le début. Je suis désolé mais je ne crois pas à la fraude invisible, surtout quand on est ensuite incapable d’en expliquer le modus operandi.
Regardons de plus près le fichier mis à disposition de tous, voulez-vous ? Vous découvrirez comme moi que – d’Aast à Zuytpeene en passant par Genève*** – il y avait pour l’élection de 2017 69 242 bureaux de vote ouverts avec une moyenne de 687 électeurs inscrits. Vous devez donc fatalement conclure que si fraude massive il doit y avoir elle ne pourra pas se faire au niveau du bureau de vote, qui est une entité trop petite pour véritablement influer sur le résultat final. C’est là toute la différence avec les Etats-Unis d’Amérique où l’élection du président peut parfois dépendre d’un seul état et dans cet état dépendre de quelques bureaux de vote. Rien de tel n’est possible en France puisque d’où qu’il vienne chaque bulletin compte pour une voix. Donc, à système électoral différent il faut forcément une « triche » différente. Et j’ai beau tourner cela en tout sens je ne vois que la fraude à l’arrivée comme possibilité. C’est-à-dire que chaque bureau de vote envoie son décompte mais – comme par hasard – seul le ministère de l’intérieur a la connaissance de l’ensemble des résultats, qu’il peut donc manipuler à sa guise. Les complotistes n’auront que cela comme argument. Sauf que je veux forcer ces derniers à sortir du bois, à nous annoncer noir sur blanc comment le gouvernement compte s’y prendre pour truquer l’élection, n’ayons pas peur des mots.
Il serait trop facile de pousser des cris d’orfraie au soir du premier tour après avoir passé toute la campagne électorale à nous expliquer que « les résultats seront truqués mais nous ne vous dirons pas comment ils vont s’y prendre. Soyez toutefois certains que nous savons qu’il y aura tricherie. ». Puisque la conviction ne peut pas tenir lieu de preuve les complotistes ne doivent pas éviter l’obstacle et nous décrire dès à présent la méthode qui sera employée.
Pourquoi pas à partir des machines à voter puisqu’elle sont montrées du doigt pour leur vulnérabilité et par conséquent sujettes à fraude ? Sauf qu’une machine qui donnerait 89% des voix à Emmanuel Macron serait forcément suspecte. Si fraude il doit y avoir elle se doit donc d’être subtile sauf que nous touchons là aux limites de la fraude à la française. Donner systématiquement 10 voix de plus à Emmanuel Macron sur chaque machine serait certes subtil mais surtout inutile. N’oublions pas qu’il existe plus de 69 000 bureaux de vote et que c’est la somme de tous ces bureaux qui compte ! Les machines à voter existent mais leur nombre est en proportion ridiculement faible. Nous en revenons donc au point de départ : la fraude ne peut pas avoir lieu au début du processus – au moment du vote – mais à l’arrivée, au moment de la compilation des résultats. Sans doute va t-il rester quelques irréductibles complotistes qui vont nous dire que « oui, oui ! » c’est possible puisque le ministère a tous les leviers en main. Hélas ces mêmes complotistes seraient bien en peine de nous expliquer comment, surtout lorsque – entre les deux tours – les résultats de tous les bureaux de vote seront rendus publics****.


 

*Permettez-moi d’utiliser ce mot dans une acception bien précise : je dis complotiste toute personne tenant pour vraie l’existence d’une organisation concertée d’actions visant à un but précis, dont l’origine est secrète ou cachée du plus grand nombre mais que elle a réussi à percer à jour.
**Féminin implicite
***Bureau de vote comptant le plus grand nombre d’électeurs inscrits, 105 891.
****La presse quotidienne régionale a l’habitude de publier les résultats bureau de vote  par bureau de vote. Si cela ne permet pas d’avoir une cartographie complète, cela a au moins l’avantage d’avoir le détail pour sa région.

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