Une fois encore il aura manqué de lanceurs d’alerte sur le vote d’une loi – en l’occurrence une résolution – et la réforme du règlement de l’assemblée nationale voulue par Richard Ferrand va entrer en vigueur sauf coup de théatre(*).
C’est malheureusement un net recul pour le débat démocratique et les quelques pouvoirs supplémentaires accordés à l’opposition parlementaire ne sauraient masquer ce fait. Je parle bien sûr du temps de parole lors de la discussion générale qui avec cette réforme va être raboté à cinq ou dix minutes pour un seul orateur de chaque groupe, choix du temps accordé qui relèvera de la conférence des présidents.
Je crois que peu de citoyens mesurent l’enjeu derrière ce qui apparaît au premier abord comme une réforme technique sans impact sur notre vie de tous les jours. Pourtant, quand on y regarde de plus près nous perdrons plus que nous ne gagnerons.
La réduction du temps de parole n’est en effet rien d’autre que la réduction du temps de débat. Cinq ou dix minutes ne permettront à personne de développer ses idées, d’expliquer sa vision de la retraite ou de la bioéthique. Ce temps court empêche aussi le citoyen de se plonger dans le texte, de le comprendre, d’en mesurer les enjeux. Le « tunnel » si souvent invoqué en séance pour réduire le temps de parole des députés avait pourtant sa pédagogie propre, à base de répétition justement. Quant à l’hémicycle vide ou presque c’est là aussi un argument fallacieux car l’orateur ne parle pas pour ses collègues, non. Il parle à toutes celles et tout ceux qui s’intéressent à la loi. Il m’est arrivé par le passé de lire le discours de tel ou tel député précisément parce que je voulais connaître son opinion, réfléchir sur ses arguments, étrangement surtout quand je n’étais pas a priori d’accord avec ses vues.
Désormais tout ceci appartient au passé. En appauvrissant son temps total de parole l’assemblée nationale se dévalorise elle-même et se coupe encore un peu plus du citoyen. Nous l’allons voir quand il sera question de la réforme constitutionnelle, de la réforme des retraites ou encore de la révision des lois de bioéthique.
Si encore il n’était question que de cela… mais le pire dans cette réforme est qu’elle est avant tout politique. Tel un 49-3 l’idée à peine cachée de Richard Ferrand est de museler non seulement l’opposition mais aussi sa majorité. En toisant les interventions lors de la discussion générale à un seul orateur par groupe quelle que soit la taille de ce groupe, Le président de l’assemblée nationale coupe court à toute fronde au sein des députés LREM. Vous vous en doutez, c’est le président de groupe qui décidera de qui prendra la parole et il aura soin de choisir quelqu’un dont le discours va correspondre à la virgule près au message à faire passer.
Cet argument a été avancé en séance (par M. le Fur de mémoire) et il m’a touché car il est marqué du sceau du plausible. Comment expliquer autrement le refus par le rapporteur M. Waserman (MoDem) de proportionner le nombre d’orateurs inscrits à la taille du groupe ? S’il l’avait fait le groupe LREM aurait eu pourtant un plus grand nombre de députés pouvant s’exprimer, mais cela démultipliait d’autant les risques de « fronde ». CQFD.
Mais entre deux maux il faut choisir le moindre alors le groupe LREM a préféré avoir une réforme votée par son seul groupe et le MoDem(**) plutôt que de rechercher un compromis avec l’opposition et prendre ensuite le risque de voir ce nouveau règlement se retourner contre lui. Chacun jugera.
(*) Le Conseil Constitutionnel se saisit de droit de tout nouveau règlement de l’assemblée nationale ; il pourrait donc décider de censurer certaines dispositions.
(**) En tant que sympathisant MoDem je regrette beaucoup ce vote.