Vous le savez, le gouvernement a fait de la réforme des retraites le fer de lance de sa volonté de contrer la crise par des mesures économiques. Il a été démontré que d’une part le candidat Nicolas Sarkozy avait en 2007 écarté d’un revers de main toute réforme de notre système de retraite avant de se rétracter en 2010 et que d’autre part, Mme Lagarde alors ministre de l’économie n’avait pas caché le lien de cause à effet qui existait entre l’application d’une telle réforme et la conservation de la notation triple A des principales agences de notation.
Vous le savez aussi, cette réforme aura été le point d’orgue d’une bataille parlementaire plus que vivace, entre obscur point de procédure et décision – unique dans l’histoire de l’assemblée nationale – d’en clore prématurément les débats pour en hâter le vote. Sans doute échaudé par un tel contexte le gouvernement a donc décidé que pour réformer le régime spécial du personnel de la Comédie Française(1), il allait passer par un discret décret.
Sauf qu’à la lecture de ce décret nous réalisons qu’il s’agit là bien plus d’un cadeau que d’une réforme, et j’imagine mal les locataires de la maison de Molière descendre dans la rue pour protester.
Pour commencer le texte précise que « les effets du présent décret interviendront pour l’essentiel de ses dispositions à compter du 1er janvier 2017« . Comparez déjà rien que ceci avec le régime général pour lequel à l’inverse les effets de la réforme ont pris corps dès le 1er juillet de cette année. Mais ce n’est pas tout, « certaines dispositions sont d’application immédiate« . Ce sont en fait les avantages(2) d’un régime déjà avantageux qui sont mis en avant. Dès lors il est bien difficile de croire que « le présent décret étend la réforme des retraites au régime spécial de retraite du personnel de la Comédie-Française. »
Le plus symbolique de cette hypocrisie – comment appeler cela autrement ? – est dans le décret suivant, publié lui aussi au Journal Officiel du 22 septembre. Il s’agit du taux de cotisation des assurés affiliés au régime spécial de retraite du personnel de la Comédie-Française.
Comme prévu ce taux va augmenter puisque la réforme « applique ainsi les mêmes mesures que celles retenues pour les régimes spéciaux de retraite des fonctionnaires« . Sauf que l’article 1 ne dit rien d’autre que l’assurance d’avoir un taux garanti contre toute augmentation d’ici au 31 décembre 2016. On a connu des textes de lois bien plus coercitifs. A l’inverse je n’ai pas lu dans la réforme des retraites du régime général qu’un taux quelconque bénéficiât d’une telle faveur… Mais comme si le clou n’était pas encore assez enfoncé, un tableau précise à quelle vitesse ce taux va s’aligner sur celui des autres régimes. Il faudra compter rien de moins que 10 ans pour passer d’un taux de 7,85% à un taux de 10,55%… Faites le calcul : pour une base 100 en 2016 vous allez payer 107,85 , et à partir de 2027 (!) 110,55. Il y a vraiment de quoi regretter que la réforme principale ne soit pas alignée, elle, sur un tel régime. Cette discrète réforme n’est ni plus ni moins qu’un cadeau de plus et non pas la preuve de la volonté farouche du gouvernement actuel de s’attaquer à tout ce qui peut paraître de près ou de loin un privilège réservé à une certaine catégorie de personnes(3).
(1) Amateur de théatre, j’ai le plus grand respect pour cette institution.
(2) Selon le décret, il s’agit des « conditions de réduction d’activité pour bénéficier du dispositif de départ anticipé des parents de trois enfants ou d’un enfant invalide à 80 % et de la bonification pour enfant, [et la] possibilité pour les assurés de demander le remboursement du rachat des années d’études et service de la pension en capital ou selon une autre périodicité. »
(3) Il est bon de rappeler ici que le gouvernement a cité comme privilège le fait que les indemnités pour accident du travail n’étaient pas soumises à l’impôt sur le revenu, et qu’il s’est empressé de supprimer ce qu’il considérait comme une « niche fiscale ».