Beaucoup s’en étonnent mais l’accumulation des « 49.3 » par le gouvernement devrait être tout sauf une surprise. Il est tentant d’y voir une manoeuvre politique mais l’analyse démontre qu’il n’en est rien. Celui qu’il faut accuser en premier de cette situation porte un nom étrange : il s’appelle « résultat de l’élection législative de Juin 2022 ». Remontons quelques mois en arrière et regardons la composition de l’assemblée nationale. Nous le savons tous, le gouvernement n’a pas de majorité absolue ; il n’a qu’une majorité relative puisque ses voix – sans atteindre 289 – restent plus élevées que celles des oppositions. Je fais bien attention de dire « les » oppositions car il y en a trois. Il y a l’opposition de l’intergroupe NUPES (151 députés), l’opposition du groupe RN (89 députés) et l’opposition que je qualifierais de droite (LIOT et LR, 82 députés). Parler d’ « une » opposition n’a pas de sens car si cela était vrai c’est elle qui aurait la majorité absolue (151+89+82 > 289). Face donc à ces oppositions la majorité présidentielle est de 251. Voici pour les données initiales sur lesquelles s’appuyer.
Si depuis le début de la XVIème législature des textes ont pu être votés sans invoquer l’article 49 alinéa 3 de notre constitution c’est que les oppositions n’ont encore jamais fait bloc. A chaque fois l’abstention d’un ou de plusieurs groupes donnait au gouvernement la majorité des voix. Alors pourquoi est-ce différent ici ?
Cela n’a pas été assez souligné par les éditorialistes et les commentateurs de la vie politique mais le PLF – et par extension le PLFSS – n’est pas un texte comme les autres, quand bien même il suit le même chemin législatif. Comme je l’ai déjà écrit il est le marqueur du positionnement politique de chaque groupe de l’assemblée nationale. Voter le PLF c’est affirmer supporter le gouvernement. Ne pas le voter c’est s’opposer à ce même gouvernement.
La grande différence avec les textes de loi que je qualifierais d’ordinaires vient de ce que l’abstention n’y joue pas du tout le même rôle. On ne s’abstient pas sur un PLF – jamais – car s’abstenir revient à le voter. Il y a comme une obligation politique de se dévoiler en votant soit « pour », soit « contre ». Voilà la raison première qui explique le passage au 49.3. Il n’existe pas de demi-mesure sur un PLF et pour détourner quelque peu l’adage « celui qui est contre moi n’est pas avec moi ».
Pour l’intergroupe NUPES la question ne se pose même pas ; opposant farouche à tout ce qui touche de près ou de loin le gouvernement son vote « contre » est connu depuis Juin. Même remarque pour le groupe RN puisque sa présidente de groupe était présente au second tour de l’élection présidentielle. On ne l’imagine pas plus que la NUPES voter un PLF, quel qu’il soit. Nous voici donc avec 240 voix « contre ». Je rappelle qu’en face nous avons 251 voix « pour », ce qui donne 11 votes d’avance mais sans avoir encore examiné les intentions des groupes LIOT et LR. Ce sont eux les « faiseurs de roi », et de leur position dépend le destin du PLF. Qu’ils s’abstiennent et le texte passe, ils n’ont même pas besoin d’explicitement voter « pour ». Seulement voilà, si le PLF est voté ce sera grâce à eux et par voie de conséquence cela les placera de facto comme soutient actif du gouvernement. La nuance que peut représenter l’abstention étant gommée par l’importance du texte examiné le choix est binaire : oui, non ; pour, contre.
C’est pourquoi la composition intiale de l’assemblée nationale est la cause principale du 49.3. Le contenu même du PLF est ici secondaire. Je vais plus loin : imaginer un PLF bâti afin obtenir le « pour » des groupes LIOT et LR et donc éviter tout 49.3 nécessiterait bien plus que des ajustements. Il faudrait d’autres preuves politiques comme par exemple la nomination de ministres en provenance de ces groupes. Bref cela reviendrait à transformer la majorité relative en une majorité absolue, ce qui n’est pas envisageable.
En poussant mon raisonnement jusqu’au bout j’ai envie de dire heureusement que le 49.3 existe car autrement nous serions dans une impasse institutionnelle. La France n’a pas la culture du compromis que l’on connaît dans d’autres pays, la réticence à changer le code électoral pour une élection des députés à la proportionnelle en est la preuve. Pour revenir à mon explication le PLF ne peut pas être voté en l’état, dont acte. Mais quel groupe se dévouerait pour aider le gouvernement à faire passer ce texte ? Ce dernier ne peut regarder que sur sa droite, vers les groupes LIOT et LR. Le parti socialiste est de son coté attaché à l’intergroupe NUPES ce qui lui interdit toute amorce de dialogue en solitaire. Qui pour dire « Oui nous votons le PLF mais non, nous ne sommes pas avec le gouvernement » ? Un tel discours est juste impensable. On ne peut donc sortir de cette situation de blocage que par le 49.3. Le constituant l’a d’ailleurs prévu et si la réforme constitutionnelle de 2008 a fortement réduit les possibilités d’user de cette disposition, elle est explicitement restée pour le PLF et le PLFSS. Quelles conclusions tirer de cet épisode ?
Premièrement qu’il était inéluctable de voir le 49.3 débarquer dans l’hémicycle, pour les raisons que je viens d’évoquer. Ensuite que si l’assemblée nationale reste composée de la sorte nous retrouverons les mêmes séquences, PLF après PLF. La dernière conclusion est que – finalement – la majorité absolue ça a parfois du bon, du moins tant que n’existe pas dans vos rangs des frondeurs. C’est d’ailleurs l’esprit originel du 49.3 car la Vème république a été créé pour une assemblée essentiellement majoritaire. Il s’agissait avant tout de forcer la main de ses amis*, pas d’imposer un texte à ses opposants.
En tout état de cause l’idée d’une dissolution de l’assemblée nationale va fatalement faire son chemin dans l’esprit du président de la république, autrement nous vivrons l’an prochain, dans deux ans et dans trois ans les mêmes cris et les mêmes hurlements.
* Sous la présidence de Nicolas Sarkozy a existé le groupe parlementaire « nouveau centre », qui avait obligation de voter les PLF. Nous étions d’ailleurs à la limite du mandat impératif.