Comme d’autres avant lui, Richard Ferrand souhaite réformer le règlement de l’assemblée nationale et dépose en ce sens une proposition de résolution. Hélas je ne trouve pas ici toutes les pistes que j’aimerais que le président de cette institution explore.
La réforme la plus emblématique est bien sûr celle relative à la législation en commission (art. 28). Ainsi le texte de loi ne serait plus discuté en séance, il serait juste voté. Si cela voyait le jour alors l’expression – souvent galvaudée – de « chambre d’enregistrement » prendrait ici tout son sens. Vous comprendrez donc que je ne suis pas favorable à cette évolution. J’ajoute que l’argument utilisé est assez mince car l’objectif avoué est de gagner du temps sur des textes à faible enjeu politique alors qu’il est de notoriété publique que ce ne sont pas sur ces derniers que le parlement perd du temps.
L’autre réforme visible est celle sur les questions au gouvernement. L’idée de n’avoir qu’une seule séance par semaine est bonne mais je préfèrerais qu’elle soit programmée le mercredi après-midi, juste après le conseil des ministres et non pas la veille. J’ai toujours considéré que c’est ici le moment idéal pour donner du temps de parole à l’opposition et le texte proposé va dans ce sens, ce que j’approuve totalement. En effet la principale critique que je peux faire à la procédure actuelle est que les questions posées par le groupe majoritaire (ou groupe soutenant le gouvernement) sont souvent moins intéressantes que celles posées par les groupes d’opposition. Je suis par contre très opposé au « droit de suite » (art. 32) que souhaite voir instituer Richard Ferrand. J’échangerais volontiers cela contre la contribution écrite pour laquelle j’estime qu’elle n’a aucun sens lorsqu’il s’agit d’un texte de loi (art. 9). Par contre, permettre au député* ayant posé une question au gouvernement d’écrire son analyse de la réponse me semble bien plus pertinent et mieux contribuer au débat public.
Pour ce qui concerne le déroulé des séances je suis assez d’accord avec l’idée de ne conserver qu’une motion par texte (art. 23 et 29). Mais je suis bien moins enthousiaste dès que Richard Ferrand évoque les différents temps de parole avec à chaque fois l’idée de les limiter, pour je cite « aller plus vite« . Hélas, le citoyen que je suis ne veut pas que l’assemblée nationale aille plus vite ; je veux qu’elle légifère mieux, quitte justement à prendre son temps quand c’est nécessaire. Ce dernier doit donc être optimisé et non pas réduit. Par exemple, je suis farouchement opposé aux « débats » et autres « questions orales sans débat » dans l’hémicycle. Cela pourrait avoir lieu ailleurs, précisément pour gagner du temps de discussion des textes de loi. D’ailleurs, à rebours de la tendance actuelle je serais partisan d’un retour au temps de parole libre à un moment et à un seul, celui de la discussion générale (art. 8). C’est à mes yeux ici que se trouve le point clé de la loi, c’est pourquoi j’estime que chaque groupe doit pouvoir expliquer, argumenter, analyser, critiquer le texte proposé au vote des députés. J’ai bien conscience ici que c’est cela – le temps libre** – qui est à l’origine d’un temps compté mais j’estime qu’au final le citoyen a plus perdu qu’il n’a gagné. Afin toutefois d’effectivement lutter contre « l’effet tunnel » le nombre d’orateurs doit être limité à un député par groupe + 1 député non-inscrit pour lequel son temps de parole ne saurait excéder 15 minutes.
Pour rester sur les amendements il y a pourtant une proposition d’évolution qui pour moi fait sens, celle consistant à regrouper les amendements identiques (art. 27). A l’inverse je pense qu’il faudrait donner la chasse aux « amendements d’appel » et autres « amendements de repli » car j’estime qu’ils n’enrichissent pas les débats (les questions soulevées par ces amendements devraient être discuté en commission). Quant aux cavaliers législatifs introduits par voie d’amendement, contre lesquels entendent lutter les articles 24 et 26, j’en veux ici aux députés et au gouvernement qui bien souvent maintiennent les amendements voire les articles de loi tout en sachant que le couperet du Conseil Constitutionnel va tomber. Ceci noté, je suis pour cette partie de réforme si elle consiste à ne conserver que les amendements ayants un lien direct avec le texte en cours d’examen.
Je regrette toutefois que ne soit pas abordé dans ce texte le fait qu’un amendement ne devrait être signé que par deux députés au plus et interdire de le reprendre si aucun cosignataire n’est présent en séance pour le défendre. Ce sont pourtant là deux points de bon sens, me semble t-il.
Il est également question dans ce texte de réformer les « niches parlementaires » (art. 37). Hélas, l’idée de donner plus de liberté aux groupes d’opposition et minoritaires va se heurter au bon sens politique ou pour le dire autrement, cette partie de réforme n’apportera rien à personne. En effet comment cela se passe t-il aujourd’hui ? L’opposition présente sa proposition de loi en séance pour la voir aussitôt rejetée par une motion de renvoi votée par le groupe majoritaire. C’est pour contrer cela que Richard Ferrand préconise qu’une proposition de loi examinée lors d’une « niche » soit directement discutée. Mais que croyez-vous qu’il va alors se passer ? Au mieux la majorité ne va déposer aucun amendement et attendre tranquillement le vote de la loi et voter contre. Au pire cette même majorité va déposer des amendements de suppression d’article, qui seront par la force des choses votés également. Bref, quel que soit le bout par lequel prendre cette « niche » nous n’aurons rien de plus ou de moins demain que ce que nous avons aujourd’hui. La seule piste d’amélioration est politique, à savoir une opposition qui déposerait des propositions de loi a priori consensuelles et ainsi obliger la majorité à voter contre une partie de ses idées. Je regrette d’ailleurs que ce ne soit jamais le cas, les groupes d’oppositions ou minoritaires déposant lors de ces niches des propositions de loi exclusivement idéologiques.
Concernant les textes examinés en « temps partagé », je suis d’avis en ce cas de regarder ce temps dans sa globalité et donc de ne plus conserver les « deux minutes » pour discuter un amendement. Je considère que soit on contraint le temps de chaque intervention et alors il n’est plus besoin de le limiter, soit on accorde un temps global pour discuter le texte et chaque groupe décide librement de la manière de l’utiliser. Chacun l’a déjà observé, certains articles sont plus stratégiques que d’autres et en raboter la discussion est contre-productif. C’est pourquoi je défends un usage libre du temps total de parole accordé à un groupe. Si un orateur souhaite passer 20 minutes voire plus à argumenter son amendement, libre à lui de le faire puisque ce temps sera en moins pour la suite du débat.
Sur les séances en elles-mêmes (art. 10) il faut bien entendu bannir les séances de nuit, mais pour autant je mettrais un peu de souplesse plutôt qu’un couperet à minuit pile. Mon idée serait de dire qu’à partir de cet instant seule la discussion de l’article en cours resterait possible, ce que d’aucuns pourraient qualifier d’amendement « pub »***.
Je veux terminer avec un mot sur la publicité des débats : la diffusion des séances à la télévision doit rester et s’amplifier, le parlement doit profiter plus souvent des deux canaux LCP – Public Sénat, car les séances sont quand on y regarde de près assez didactiques en soi. Voir la loi se faire sous nos yeux, en direct, ne devrait pas laisser le citoyen indifférent****. Concernant la diffusion par internet elle gagnerait à être augmentée d’une « web radio » dédiée aux séances. Ainsi le flux plus faible permettrait de suivre les séances en tout lieu avec diffusion de musique classique lors des suspensions de séance, d’autant qu’il ne faudrait pas un trop grand budget pour mettre cela en application.
Pour résumer :
– Plus des deux tiers des questions au gouvernement pour l’opposition
– Pas de droit de suite mais une contribution écrite possible
– Retour du temps libre lors de la discussion générale
– Les séances dans l’hémicycle ne servent qu’à l’examen des textes de loi et une fois par semaine aux questions au gouvernement
– Pas de législation en commission
* Depuis le premier billet de ce blog le féminin est implicite dans tous mes textes.
** De mémoire je crois me souvenir que c’est l’intervention de Mme Boutin lors du texte instituant le PACS qui a signé le glas du temps de parole libre. Pour rester sur ce sujet et le lire sous un angle politique, il n’y a eu là que quelques heures de perdues certes mais à bien y réfléchir en pure perte aussi pour l’opposition de l’époque.
*** En Angleterre, à partir d’une certaine heure il n’est plus possible de commander de nouvelles boissons mais le pub reste ouvert tant qu’il reste des clients. Pour revenir au sujet principal cela revient à décider de l’usage systématique de l’article 50 alinéa 5 tel que rédigé à l’heure ou j’écris ce billet.
**** Permettez-moi de penser que si les audiences de #DirectAN rejoignaient celles des diffusion de matchs de football alors nous aurions des lois bien différentes.