Le dilemme du prisonnier appliqué à la politique

La perspective de voir le Front National à la tête d’une région (voire plus d’une) au soir du 13 Décembre prochain serait vécu par la classe politique comme un véritable séisme. Les premiers sondages semblent pourtant aller dans ce sens avec le parti d’extrême droite en tête dans deux régions, le Nord Pas de Calais Picardie et Provence Alpes Côte d’Azur.
Tous les ingrédients sont là pour que cela devienne réalité : un taux d’abstention sans doute élevé, un mode de scrutin plus avantageux qu’aux dernières élections départementales et plus encore la tentation du rejet de toute politique dite « classique »…
Les deux autres principaux partis politiques le savent bien et déjà certains aux Les Républicains* se positionnent en fonction du résultat prédit par les sondages, s’apprêtant dès à présent à rejeter sur le PS la « faute » d’une victoire du parti de Marine le Pen.
Il semble pourtant peu probable que le FN puisse gagner une région s’il est opposé à une seule autre liste au second tour, d’une part parce que le parti d’extrême droite n’a pas d’alliance et que d’autre part le report des listes arrivées troisième et au-delà se feront majoritairement en faveur du camp qui s’opposera au FN.
Nuançons quand même car si tout le monde s’accorde pour dire qu’un duel FN-LR serait en faveur du parti Les Républicains, un duel FN-PS aurait un résultat plus incertain car le report de l’électorat LR éliminé se fera plus facilement vers le FN que vers le PS**. Ceci est d’autant plus vrai que le parti de droite se contentera du « ni-ni » à cette occasion.
Mais le cas le plus probable restera la triangulaire voire la quadrangulaire car 10% des suffrages exprimés suffisent pour se maintenir entre les deux tours. Regardons par conséquent les cas de figures possibles pour faire échouer le FN dans sa tentative d’obtenir la tête d’une Région :
– Une des deux listes décide de se retirer et appelle à voter pour l’autre liste. Que ce soit le PS ou le LR, le FN criera à la connivence et clamera haut et fort que l’un et l’autre sont d’accord sur l’essentiel. C’est toutefois une hypothèse toute théorique car se retirer équivaut à ne pas avoir obtenu 10% au premier tour, donc à n’avoir aucun conseiller régional.
– Les deux listes fusionnent, ce qui là aussi reste très théorique. Ce serait pour le FN une démonstration éclatante du système qu’il a appelé en son temps « UMPS ».
– Les différentes listes campent sur leur position entre les deux tours. Il y a toutes les chances pour que cela favorise le FN – surtout s’il est en tête au soir du premier tour – et qu’il emporte au final la Région.
En résumé nous avons un premier cas où le FN ne serait pas à la tête de la Région mais au prix d’une acrobatie politique plus qu’improbable, un second cas tout aussi inimaginable mais qui pourtant offrirait un barrage certain au FN et un troisième cas où le FN est quasi certain au contraire d’arriver en tête au second tour et de gagner la Région.
C’est ce paradoxe qui me pousse à écrire ce billet car pour l’un comme pour l’autre camp (PS et LR***) la triangulaire signifie l’impossibilité de gagner la région : Faire mieux que le FN au second tour nécessite un soutien élargi, soutien qui sera insuffisant si chacun des deux partis maintiennent leurs listes. Gagner implique donc de s’entendre entre partis concurrents, et par conséquent transformer en réalité tangible la thèse de l’ « UMPS » du FN.
Bref, toutes les hypothèses pour faire perdre le Front National échouent d’une manière ou d’une autre. C’est là le dilemme du prisonnier appliqué à la politique.

* Le nom du parti n’a pas à être confondu avec le qualificatif d’où cette tournure a priori difficile à lire mais pourtant juste politiquement parlant. 
** Voyez les dernières élections sénatoriales où preuve a été faite que si deux sénateurs FN ont été élu ce le fut avec (aussi) les voix de Les Républicains.
*** Je ne cite que ces deux partis car ils sont à eux deux à la tête de toutes les régions.

 

 

À propos de VincentB

"Né citoyen d'un Etat libre, (...) quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d'y voter suffit pour m'imposer le devoir de m'en instruire" [Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social]
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