L’appel à l’impôt

L’annonce a l’effet d’une bombe : Seize personnalités – et pas des moindres – signent un appel pour payer plus d’impôts. Serions-nous à l’aube d’une nouvelle nuit du 4 Août(1) ? D’après les signataires et avec une première lecture sommaire du texte oui. Hélas le propos ne résiste pas à une analyse plus fine et disons le tout net, il s’agit plus d’un coup d’épée dans l’eau que d’un coup de tonnerre dans un ciel serein.
Commmençons par l’expression même de « contribution exceptionnelle« , qui recèle bien des trésors cachés. « Contribution » suggère avant tout le volontariat, la non-obligation d’adhérer à ce qui est énoncé ici, tandis que l’adjectif « exceptionnelle » résume bien l’état d’esprit de cet appel : pas question d’y revenir, ce sera pour une seule année fiscale et pas deux.
Cette contribution donc sera « calculée dans des proportions raisonnables« , les experts de Bercy auront bon soin d’en préciser contours et modalités. A l’évidence nous serons dans le très raisonnable, pour ne pas dire dans le symbolique(2). C’est qu’il faut à tout prix éviter « la fuite des capitaux ou l’accroissement de l’évasion fiscale« .
D’ailleurs les signataires le disent bien : « Cette contribution n’est pas une solution en soi« , ce qui procède pour le coup d’une certaine tautologie puisqu’il n’a jamais été question de demander aux seuls plus fortunés de mettre la main à la poche, loin de là…
Mais cet appel sera t-il entendu ? Car au bout du compte c’est bien de cela qu’il s’agit. Le gouvernement a dans ses cartons une mesure analogue, qui de précisions en corrections finira bien par satisfaire ceux qui aujourd’hui demandent à être taxés(3). Cela consisterait en « une taxe de 1% à 2% assise sur les personnes dont le revenu fiscal de référence dépasse le million d’euros par an« . Comme le précise un article du Figaro, « 30.000 personnes environ seraient potentiellement concernées, pour un gain estimé à 300 millions d’euros« .
1% de taxe ce n’est pas grand chose, c’est même rien du tout et l’on serait – si ce texte de loi voyait le jour – dans le raisonnable appelé de leurs voeux par les signataires de l’appel du 23 août. Car enfin trouver 300 millions d’Euros dans 30 000 poches fiscales détenant chacune plus d’un million d’Euros revient grosso-modo à demander un effort de 10 000 Euros.
Proportionnellement c’est demander à un ménage ayant payé 2 500 Euros d’impots l’an dernier d’en payer 25 de plus à la fin de cette année… Dès lors nous ne sommes plus dans le grandiose mais dans le cynisme au mieux, dans l’hypocrisie au pire.
Sans sombrer par effet retour dans la démagogie je préfèrerais de loin demander aux plus fortunés de consentir à un effort réel et conséquent. Je suis certain que puisqu’ils ont « pleinement bénéficié d’un modèle français et d’un environnement européen » favorables ils comprendront plus que d’autres que cette contribution exceptionnelle est nécessaire, avec en prime la certitude de « contribuer à préserver » le système économique auquel ils sont si attachés.

(1)  Par référence à l’abolition des privilèges par l’Assemblée Nationale le 4 Août 1789
(2) On pourrait ici me taxer de procès d’intention. Mais je doute fort que ces mêmes signataires auraient signé un texte parlant « d’effort réel »
(3) L’appel est titré « taxez-nous », dont je crois savoir qu’il émane du magazine publiant le texte et non pas des signataires eux-mêmes

Complément du 24 août

Le premier ministre vient d’annoncer lors d’une conférence de presse les mesures liées aux plus haut revenus. Il s’agira donc d’une taxe de 3%, prise sur le revenu fiscal de référence, et touchant les revenus au-delà de 500 000 Euros. En dépit du souhait de justice dont a fait preuve François Fillon, nous sommes loin du compte : Il n’est plus question que de ramener 200 millions d’euros par an avec cette mesure (contre 300 avec la première proposition de Gilles Carrez, voir supra), et encore sur une assiette plus large puisqu’englobant les revenus compris entre 500 000 et 1 million d’Euros. Comme je l’ai écrit hier nous sommes bien dans le cynisme et l’hypocrisie. Les signataires de l’appel peuvent dormir tranquille, ils seront les premiers à dire que cette mesure est pour eux tout ce qu’il y a de plus « raisonnable »

À propos de VincentB

"Né citoyen d'un Etat libre, (...) quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d'y voter suffit pour m'imposer le devoir de m'en instruire" [Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social]
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