Il a été publié au journal officiel du 22 décembre 2021 un décret « approuvant l’avenant à la convention passée entre l’Etat et la Société SAPN pour la concession de la construction, de l’entretien et de l’exploitation d’autoroutes et au cahier des charges annexé. »
Sous ce titre abscons se cachent bien des détails et il n’est pas illogique de supposer qu’il y a là plus qu’un simple avenant. Cette manière de passer par un décret, donc de sauter la haie parlementaire est hélas devenue une habitude, a fortiori en matière de concession autoroutière. Cela a d’ailleurs été dénoncé par la commission d’enquête sénatoriale chargée d’en étudier les conséquences.
Long de 10 pages avec ses annexes, ce douzième avenant (!) modifie 18 articles de la convention initiale (« convention passée le 24 mars 1995 entre l’Etat et la société des autoroutes Paris-Normandie (SAPN) pour la concession de la construction, de l’entretien et de l’exploitation d’autoroutes »). Tel un lanceur d’alerte je souhaite attirer l’attention de mes lecteurs* sur le contenu de certains articles de cet avenant.
Article 7
De ce que j’en ai déduis le concessionnaire devra verser à l’état (au concédant) « une compensation au titre de l’avantage financier éventuel en découlant. » Découlant d’investissements planifiés mais pas réalisés selon un échéancier « défini à l’annexe W bis.3 ».
Toutefois, et bien que l’article mentionne une possible compensation en numéraire, le concessionnaire pourra épargner sa trésorerie grâce au paragraphe petit c) : « Le cas échéant, la société concessionnaire réalise des investissements supplémentaires non prévus au cahier des charges sur le réseau concédé (…). Alternativement, le concédant et la société concessionnaire peuvent convenir d’affecter ladite compensation au dispositif de partage du risque prévu à l’article 28 bis du présent cahier des charges (…) ».
Ainsi, en vertu de cet article le concessionnaire peut décider de travaux « non prévus au cahier des charges » pour compenser ceux qu’il n’aurait pas fait et qui – eux – étaient au cahier des charges, ce qui est pour le moins étrange. Cerise sur le gâteau, « Le montant de la compensation est calculé par la société concessionnaire (…) ». Il y a certes un contrôle mais c’est tout de même le concessionnaire qui distribue les cartes. Et encore n’avons nous pas lu l’alternative de l’article 28bis cité dans le texte. Un peu de patience…
Article 9
Vous serez sans doute ravis d’apprendre que désormais il ne faut plus dire « barrière de péage » mais « diffuseur ». Dont acte.
Article 23
J’ai conscience d’être à la limite du procès d’intention mais tant pis. Car la lecture de cet article laisse à penser que l’avantage est pour le concessionnaire et l’inconvénient pour le concédant, autrement dit l’état, autrement dit nous. Jugez par vous même (article cité in extenso).
« Le montant des avances remboursables mentionné au 23.1 est réputé hors taxes et non soumis à la TVA et est affecté en totalité au financement des investissements mentionnés à l’article 9.9. A compter de l’entrée en vigueur du douzième avenant, la société concessionnaire est ainsi libérée de toute obligation de remboursement des avances remboursables mentionnées à l’article 23.1. »
Pour ce qui est « des investissements mentionnés à l’article 9.9. » tout se passe en réalité à l’article 27 que nous verrons plus loin. Quant au douzième avenant qui va libérer le concessionnaire de « toute obligation de remboursement » c’est celui qui est publié ici.
Article 25
C’est l’article qui définit le montant de la hausse des tarifs de péage. Il est piquant de noter que le texte prévoit « une majoration ou une minoration » alors que depuis la privatisation des autoroutes il y a toujours eu augmentation et jamais eu minoration. Mais le cas reste prévu au contrat, sait-on jamais !
Article 27
C’est l’article phare de cet avenant, sa raison d’être. Il autorise le concessionnaire à mettre en place « un dispositif de péage permettant l’identification des véhicules et la perception du montant du péage sans recours à une barrière physique ». Ce n’est donc rien d’autre que la fin des péages tels que nous les connaissons aujourd’hui. C’est certes une expérimentation mais elle aura été décidé par décret, sans débat public ou parlementaire. Elle est de plus d’application immédiate ou presque puisque « La société concessionnaire est autorisée à déployer un dispositif de péage en flux libre sur les sections et bretelles mentionnées à l’annexe FL1. »
Article 28
Cet article traite des modalités de paiement du péage en flux libre. J’avoue n’avoir rien relevé de suspect.
Article 28bis
Reprenons un instant : l’idée du flux libre, d’abandonner les péages tels que nous les connaissons est une idée du concessionnaire, pas de l’état. Vous voyez les économies que cela peut représenter en terme de main d’oeuvre, de maintenance du bâti. Mais sans doute n’est-ce pas encore assez car avec cet article 28bis « il est mis en place, entre l’autorité concédante et la société concessionnaire, un dispositif de suivi et de partage du risque lié au non-paiement du montant du péage spécifique à la perception du péage au moyen d’un dispositif de péage en flux libre » et ce « Compte tenu du caractère innovant et des incertitudes liées à l’effet du déploiement d’un dispositif de péage en flux libre sur la perception du péage par la société concessionnaire ».
Difficile d’être plus clair : Si c’est économiquement viable alors le concessionnaire en tirera seul les bénéfices et si ça ne l’est pas les pertes seront partagées. Relisez maintenant l’article 7 présenté au début de ce billet : « Alternativement, le concédant et la société concessionnaire peuvent convenir d’affecter ladite compensation au dispositif de partage du risque prévu à l’article 28 bis du présent cahier des charges (…) ». La conclusion est limpide : tout est écrit pour que le concessionnaire ne débourse pas un seul centime en numéraire dans le cas où il devrait le faire.
Article 30
J’avoue ne pas avoir cherché quels sont les « contrats » dont il est question dans l’article mais il y a matière à soupçonner encore un avantage pour le concessionnaire et un nouvel inconvénient pour l’état. C’est que « La durée de ces contrats peut excéder le terme normal de la concession ». ce qui en soi devrait être justifié. Mais le dernier alinéa me fait tiquer : « A compter de la date d’échéance de la concession, l’Etat est, pour la durée du contrat restant à courir, substitué à la société concessionnaire dans tous ses droits et obligations pour l’exécution des engagements pris par elle en vue de la construction, l’exploitation et l’entretien des installations annexes. ».
En première analyse je déduis de ceci que si le concessionnaire démarre une construction, une exploitation ou un entretien quelconque mais que la fin du contrat arrive, alors l’état se substitue au concessionnaire « dans tous ses droits et obligations pour l’exécution des engagements pris par elle ». Etrange.
Article 30 bis
Là aussi je crie peut-être « au loup ! » pour rien mais lire que « Dans le deuxième alinéa, les mots : « consentir à » sont remplacés par les mots : « conclure librement avec » » résonne étrangement à mon oreille, surtout que le paragraphe suivant précise bien que « Dans ce même alinéa, les mots : « et pour une période n’excédant pas la durée de la présente concession » sont supprimés ». En tout état de cause l’oeil d’un spécialiste de la question serait fort utile pour dire ce qu’il en est véritablement.
Article 30 ter
Vertueux le concessionnaire ? Sans doute puisque l’article est titré « Activités de production d’énergies renouvelables ». Ainsi, « la société concessionnaire peut délivrer des titres d’occupation du domaine public dont la gestion lui est confiée en application de la présente concession, en vue de permettre l’exercice sur le domaine public autoroutier concédé d’activités dont l’objet principal est la production d’énergies renouvelables. » En outre, « La durée de ces titres peut excéder le terme normal de la concession ».
C’est sympathique d’autoriser l’implantation d’éoliennes ou de panneaux photo-voltaïques, non ? Attendez de lire le second alinéa avant de vous réjouir : « La société concessionnaire fixe librement le montant de la redevance domaniale d’occupation. Toutefois, 30 % des sommes perçues à ce titre sont reversées annuellement à l’Etat lorsque les activités visées au premier alinéa sont exercées sur des terrains objet de travaux de démolition ou de déconstruction financés, en tout ou partie, par l’usager de l’autoroute au moyen d’une augmentation additionnelle des tarifs de péage ou d’un allongement de la durée de la concession ».
Voilà, le concessionnaire peut fixer « librement le montant de la redevance domaniale d’occupation », donc tirer des revenus autres que celles de l’exploitation autoroutière stricto sensu. Quant aux 30% de reversion à l’état ce sera si et seulement si ce sont sur « des terrains objet de travaux de démolition ou de déconstruction financés, en tout ou partie, par l’usager de l’autoroute au moyen d’une augmentation additionnelle des tarifs de péage ou d’un allongement de la durée de la concession ». Il suffira donc au concessionnaire de laisser s’implanter les éoliennes ou autres panneaux photo-voltaïques sur des terrains qui ne sont pas « objet de travaux (…) » pour récupérer 100% de la redevance domaniale d’occupation dont il aura auparavant librement fixé le prix …
Article 37
Nous avons vu à l’article 27 que le concessionnaire allait mettre en place des péages à flux libre. L’article 37 précise que « La société concessionnaire réalise les investissements (…) nécessaires à la réalisation, l’exploitation, l’entretien et la maintenance d’un dispositif de péage en flux libre et dont la durée d’utilisation est supérieure à la durée de la concession. » En outre, «Ces biens de retour reviennent à l’autorité concédante à la fin de la concession. » Très bien, non ? Non, pas bien du tout car il faut lire la suite : « A cette date, la société concessionnaire a droit à une indemnité correspondant à la valeur nette comptable des biens (…)». Après tout cela procède d’une certaine logique. La concession arrivant à terme il est logique de payer une sorte de reliquat pour l’utilisation d’un bien construit au départ par le concessionnaire. Là où le bât blesse c’est que « Le montant de cette indemnité, fixe, forfaitaire et net d’impôt, est égal à cinquante-cinq (55) millions d’euros hors taxes (valeur 31 août 2033). »
Fixe, forfaitaire, net d’impôt : tout est dit. Le concessionnaire sait en 2021 que cet article va lui rapporter en 2033 55 millions d’euros, et ce quoi qu’il arrive. On peut se demander s’il n’y a pas là une ristourne déguisée puisque l’annexe FL1 parle d’une opération à 130 millions d’euros, ce qui au final permet au concessionnaire de réaliser une économie substantielle.
Article 39
Toujours sur ces futurs péages à flux libre, l’état sort le bâton : « En cas de non-respect par la société concessionnaire de l’une des dates résultant de l’application de l’article 9.9 du présent cahier des charges, l’autorité concédante peut exiger de celle-ci (…) le versement d’une pénalité journalière. »
Cela reste toutefois un bâton en plastique mou car « Le montant de la pénalité par jour de retard ne peut être supérieur à 7 500 € valeur juillet 2018. » C’est quand même une somme car cela représente 225 000 Euros par mois. Mais sans doute l’état a t-il quand même des remords car « Le montant cumulé(…) ne pourra excéder 1 350 000 € (…). » soit 6 mois de retard.
Pour résumer ce que j’ai compris de ce douzième avenant entre la SAPN et l’état.
- Le concesionnaire pourra mettre en place un système de « péage à flux libre ».
- Comme il s’agit d’une expérimentation seules les pertes économiques seront partagées avec l’état mais pas les bénéfices.
- Pour la mise en oeuvre de tout ceci la SAPN devra réaliser les investissements nécessaires, et à ses frais. Toutefois, à la fin de la concession en 2033 ces investissements deviendront propriété de l’état, moyennant un prix forfaitaire de 55 milllions d’euros.
- En cas de retard dans la réalisation de ces investissements le concessionnaire paiera 7 500 euros par jour de retard durant 6 mois au maximum.
- Enfin, la SAPN pourra autoriser la construction d’éoliennes et/ou de panneaux photo-voltaïques tout en percevant une redevance dont elle reversera ou pas 30% à l’état.
* féminin implicite et ce depuis que ce blog existe.