Alors que les débats sur le projet de loi relatif à la bioéthique auront lieu fin Septembre 2019 à l’assemblée nationale, se profile déjà à l’horizon la discussion phare bien qu’absente officiellement du texte, celle concernant bien sûr la Gestation Pour Autrui, la GPA. Je veux ici faire part de mes inquiétudes sur la capacité du législateur à continuer de l’interdire. L’étude d’impact du projet de loi est en effet parsemée d’arguments qui mis bout à bout militent indirectement en faveur d’une autorisation de la GPA ; c’est en tout cas ce que moi j’y vois.
Tout part bien entendu de la possibilité pour un couple de femmes de désormais concrétiser son projet parental par le biais de l’AMP. Mais comment dire non à un couple d’hommes si «Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes comme le défenseur des droits considèrent (…) que la question de la légitimité d’un projet mono ou homoparental a déjà été tranchée par les textes»(1) ?
Ici le terme « homoparental » est utilisé sans la distinction hommes ou femmes puisqu’il s’agissait du débat sur l’adoption. Mais puisque « c’est (…) « au nom de l’égalité des projets parentaux » qu’est revendiquée la « « liberté de procréer et de transmettre, en tant qu’expression de l’autonomie personnelle »« (2) il va être compliqué de continuer de distinguer dans ce texte de loi entre les femmes et les hommes. Ce serait d’ailleurs un vrai paradoxe que de modifier les conditions d’accès à l’AMP pour mettre fin à ce qui est considéré comme une inégalité de situation tout en discriminant dans le même temps une partie de la population au seul motif de son sexe.
C’est pourquoi je ne vois pas comment le législateur pourra continuer de concilier « égalité des projets parentaux » et interdiction de la GPA. Ajoutons encore que les quelques cas connus en France(3) ont juridiquement abouti à une reconnaissance de l’usage de la GPA pour concrétiser un projet homoparental. Le fait que ce soit arrivé à l’étranger et avec de surcroît l’intention manifeste de frauder la loi contrairement aux couples de femmes(4), n’a pas pour autant conduit la justice à donner tort aux couples homosexuels. Le chemin judiciaire pour arriver à une telle reconnaissance est effectivement long, coûteux et difficile, oui, mais jusqu’à présent il a toujours abouti positivement. Nul doute d’ailleurs que certains députés vont affirmer lors des débats qu’il y aurait là une certaine hypocrisie à continuer d’interdire la GPA en France tout en le cautionnant dès lors que cela se passe à l’étranger.
Comme je l’ai déjà écrit le législateur ne pourra pas rester au milieu du gué, surtout quand il affirme pour les couples lesbiens que « ce passage des frontières, réservé aux femmes les plus aisées aboutit à une situation d’inégalité. Plus encore, les femmes, qui restent exclues de l’assistance médicale à la procréation sur le territoire national, sont amenées à se rendre à l’étranger, (…) ou conduites à prendre des risques sanitaires pour fonder une famille. »
A partir de cette lecture je suis bien obligé de déduire qu’il arrive aujourd’hui aux couples homosexuels ce qui arrivait hier aux couples lesbiens : l’obligation d’aller à l’étranger, la difficulté ensuite de faire reconnaître la filiation. Si on se penche aujourd’hui sur le cas des couples de femmes pour en quelque sorte mettre en conformité la loi avec la pratique on voit bien que la prochaine étape ne pourra pas être autre chose que de mettre aussi en conformité ce qui se passe pour les couples d’hommes qui se lancent dans un projet parental.
Enfin, les partisans de la GPA pourront utiliser pour leur propre compte ce passage de l’étude d’impact qui conduit à autoriser l’AMP à des couples de femmes : « rappelant la présentation habituellement retenue dans le débat public sur l’accès à l’assistance médicale à la procréation qui oppose le « besoin médical » des couples hétérosexuels au « problème social » des couples de femmes (…) (« assistance sociétale à la procréation »), la Commission nationale consultative des droits de l’homme note que ces deux dimensions « se recoupent déjà en partie dans le cadre légal actuel de l’AMP. En effet, (…) la médecine de la reproduction ne remédie pas à une infertilité au sein du couple mais elle organise le recours aux gamètes d’un tiers pour la pallier. ».»(5)
Alors certes, ni l’étude d’impact ni le projet de loi ne parlent expressément de la GPA, que ce soit pour l’interdire ou pour l’autoriser. Mais au vu des arguments avancés par le législateur pour autoriser un couple de femmes d’accéder à l’AMP, je ne vois pas comment il va s’y prendre pour inscrire dans la loi qu’il dit « oui » au motif que ce sont deux femmes tout en disant « non » au motif que ce sont deux hommes, d’autant plus que la prise en compte du critère sociétal – si je puis dire – irait plutôt vers une autorisation de la GPA, car « le désir de parentalité n’a rien de spécifique, il est totalement indépendant de l’orientation sexuelle ou du statut matrimonial(6). Ainsi que le note le rapporteur de la mission d’information parlementaire : « la famille (…) reste « traditionnelle » au regard de l’irrépressible désir d’engendrement »« (7).
Finalement la seule chose qui empêche d’autoriser la GPA en France c’est son absence dans le texte du projet de loi. Mais pour combien de temps encore ?
(1) Page 36 de l’étude d’impact du projet de loi relatif à la bioéthique citant le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Contribution au débat sur l’accès à la PMA, Avis n°2015-07-01-SAN-17 adopté le 26 mai 2015.
(2) Étude du Conseil d’État : « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? », 28 juin 2018, p.47
(3) Dont certains médiatisés à des fin militantes.
(4) Certaines juridictions avaient estimé que, lorsque des femmes recouraient à une insémination artificielle avec donneur anonyme faite à l’étranger, elles commettaient une fraude à la loi justifiant que la demande d’adoption de l’enfant par l’épouse de la mère soit rejetée. Dans deux avis, la Cour de cassation écarte la solution fondée sur la fraude à la loi en matière d’insémination artificielle avec donneur anonyme pratiquée à l’étranger. En effet, en France, certes sous conditions, cette pratique médicale est autorisée : dès lors, le fait que des femmes y aient eu recours à l’étranger ne heurte aucun principe essentiel du droit français.
(5) Commission nationale consultative des droits de l’homme, Avis relatif à l’assistance médicale à la procréation, 20 novembre 2018, p. 9.
(6) Souligné par moi.
(7) Mission d’information de la Conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique, page 43