Cela sonne désormais comme une évidence pour tous les spécialistes de la question, notre système fiscal lié aux revenus est à bout de souffle. Mais ce n’est pas d’une N-ième réforme dont la France a besoin, c’est d’une authentique révolution fiscale.
Pour le gouvernement actuel, procéder à partir de 2017 (2018 ?) par une retenue sur le salaire en lieu et place d’un prélèvement direct par le fisc est suffisamment révolutionnaire. Si l’idée directrice est la simplification (encore que, puisque le contribuable continuera de remplir une déclaration) nous voyons bien au fur et à mesure que cette perspective se rapproche vers quels écueils nous allons.
En l’espèce, la décision prise a plus à voir avec la politique politicienne (engager le bras de fer avec la Droite en vue des élections présidentielles de 2017) qu’avec le souci de mieux faire rentrer l’impôt dans les caisses de l’Etat, voire faire des économies en instituant un système a priori moins coûteux.
Il ne faut pas étudier bien longtemps les aspects pratiques de cette réforme pour voir que les inconvénients l’emportent sur les avantages, à supposer d’ailleurs qu’il n’existe ne serait-ce qu’un avantage à pratiquer la retenue à la source*.
Le premier de ces inconvénients est mathématique, le salaire net versé au salarié sera moindre. On aura beau expliquer et continuer d’expliquer que c’est là un jeu à somme nulle (ce qui est prélevé n’est pas à payer au fisc) l’impact psychologique sera bien plus important qu’on ne l’imagine. Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que dans un premier temps la consommation des ménages ralentisse, les français qui verront leur paie diminuer réduiront leurs dépenses en conséquence, par simple frilosité. On relèvera aussi les inconvénients pratiques d’une retenue à la source : pour un couple le paiement de l’impôt est actuellement solidaire, c’est le ménage fiscal qui est imposé. Or avec cette réforme – et au nom de l’égalité – les deux personnes qui composent le ménage fiscal verront chacuns une retenue sur leur salaire, créant de facto un impôt individualisé.
L’autre inconvénient vient de la non-confidentialité que cela va nécessiter. On aura beau mettre toutes les protections utiles voire en créer de disproportionnées, il n’en demeurera pas moins que le premier point d’entrée ne sera plus l’administration fiscale mais l’employeur. Ce dernier n’apporte aucune valeur ajoutée dans l’opération (à moins qu’il ne soit décidé d’une incitation fiscale ?) et risque de devenir le premier interlocuteur du contribuable pour au mieux orienter, au pire expliquer. Notons aussi que comme pour de nombreuses autres réformes – et celle-là bien plus que d’autres – les grandes entreprises seront avantagées, bardées qu’elles sont déjà de services RH et juridiques. Mais comment imaginer que pour l’artisan, le commerçant, l’agriculteur cela se passera sans perte de temps ? On peut aussi penser que pour certains d’entre eux cela posera des questions morales. Après tout le secret fiscal existe bel et bien dans notre droit et il risque d’être malmené par cette disposition.
Enfin, dernier inconvénient, la perception si je peux employer ce terme que chacun aura vis-à-vis de l’impôt. Pour la plupart il deviendra invisible puisque réduit à une ligne de plus sur le bulletin de salaire. Je ne suis pas sûr que masquer autant l’impôt le rende plus compréhensible aux yeux des citoyens que nous sommes.
L’idée que je défends est tout autre. Il s’agit de revenir aux fondamentaux, à l’idée d’un impôt payé par chacun dès lors qu’il perçoit un revenu. La recette issue de l’impôt étant dévolue au fonctionnement des services publics et ces derniers étant utilisés par tous il est logique que chacun y contribue. De plus en plus de voix s’élèvent pour souligner le paradoxe consistant pour de moins en moins de foyer fiscaux à supporter l’intégralité de l’impôt sur le revenu. Nous reviendrions ainsi à l’origine même de l’impôt, tel que défini à l’article 13 de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. ». Le texte est assez clair, « également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Dès lors la seule révolution fiscale qui aurait du sens consisterait à décréter que chaque revenu est soumis à l’impôt. Bien entendu la proportionnalité doit s’appliquer** mais je suis pour définir un seuil minimal de perception. Pour rester dans l’esprit de la simplification et ne pas créer de nouvel indice je suggère que l’on fixe ce minimum annuel comme étant le taux horaire brut du SMIC multiplié par 10, soit 96,70 € depuis le 1er Janvier de cette année.
Cette authentique révolution fiscale présente – au contraire de celle souhaitée par le gouvernement – uniquement des avantages. Elle crée dans l’esprit des français une justesse*** fiscale, personne ne pouvant échapper à l’impôt puisque chacun profite des services publics financés par l’impôt. Elle est lisible en ce sens où chacun paye durant 10 mois de l’année, les deux derniers mois étant réservés aux ajustements (fin du paiement par tiers provisionnel). Elle respecte le secret fiscal tel que nous le connaissons aujourd’hui. Elle ne crée pas de nouvelle distorsion entre grandes et petites entreprises, puisque aussi bien l’une que l’autre restent hors du jeu fiscal de leurs salariés. Enfin, et ce n’est sans doute pas le moindre des avantages, on peut légitimement penser que cela augmentera les recettes de l’Etat. Il ne reste plus qu’à écrire une telle loi et à l’appliquer.
* S’il fallait chercher une preuve qu’il s’agit plus de politique que de fiscalité nous pourrions regarder du coté de la fusion impôt sur le revenu et CSG, dès lors qu’il y aurait ces deux lignes sur un même bulletin de salaire.
** Le seul moyen d’éviter tout effet de seuil est de calculer l’impôt selon une formule unique. Je précise ici que le système des parts fiscales continuerait de s’appliquer mais sans jamais réduire à zéro l’impôt à payer.
*** Je suis très attaché à ce qualificatif de justesse, en opposition avec l’expression largement utilisé et donc galvaudée de justice fiscale.