M. le député,
Comme premier signataire vous avez déposé sur le bureau de l’assemblée nationale une proposition de loi « visant à prendre des mesures d’urgence pour protéger les locataires de la hausse des loyers et des charges ». Permettez-moi de vous interpeller sur l’article 5 qui d’après l’exposé des motifs « vise à abolir les coupures d’énergie et les limitations de puissance de la part des fournisseurs d’énergie ». Plus particulièrement, vous proposez une nouvelle écriture du troisième alinéa de l’article L. 115‑3 du code de l’action sociale et des familles qui, selon mon interprétation instaure ni plus ni moins qu’une forme de gratuité de la fourniture d’énergie aux ménages.
La formulation actuelle de cet alinéa est la suivante : « Du 1er novembre de chaque année au 31 mars de l’année suivante, les fournisseurs d’électricité, de chaleur, de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l’interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles. Les fournisseurs d’électricité peuvent néanmoins procéder à une réduction de puissance, sauf pour les consommateurs mentionnés à l’article L. 124-1 du code de l’énergie. Un décret définit les modalités d’application du présent alinéa. Ces dispositions s’appliquent aux distributeurs d’eau pour la distribution d’eau tout au long de l’année. »
Voici votre formulation telle que nous la trouvons dans votre proposition de loi : « Les fournisseurs d’électricité, de chaleur, de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l’interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles. Les fournisseurs d’électricité ne peuvent procéder à une réduction de puissance ne garantissant pas des conditions convenables d’existence. Un décret définit les modalités d’application du présent alinéa. »
Afin de bien situer mon propos prenons l’exemple d’un ménage qui n’honore plus ses factures liées à la fourniture d’énergie, qu’importe la raison. Aujourd’hui il est possible pour le fournisseur – après avoir épuisé les autres recours – de résilier le contrat en dehors de la période qui cours « du 1er novembre de chaque année au 31 mars de l’année suivante ». Mais pour éviter d’en arriver à cette solution radicale il peut « néanmoins procéder à une réduction de puissance ».
Imaginons maintenant que votre article 5 entre en vigueur. Qui aurait obligation de payer ses factures de fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz ? A priori plus personne car en vertu de la nouvelle rédaction du troisième alinéa de l’article L. 115‑3 du code de l’action sociale et des familles, les fournisseurs d’énergie ne pourront plus « procéder (…) à l’interruption (…) pour non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz », et ce en tout temps et tout le temps. En outre les « (…) fournisseurs d’électricité ne peuvent procéder à une réduction de puissance ne garantissant pas des conditions convenables d’existence ». Permettez-moi de souligner ici comme une évidence que lorsqu’un ménage souscrit un contrat d’énergie pour sa résidence principale c’est pour obtenir « des conditions convenables d’existence ». En contrepartie ces mêmes ménages s’engagent à payer pour le service rendu.
Or avec un tel alinéa 3 dans l’article L. 115‑3 du code de l’action sociale et des familles, ces « conditions convenables d’existence » ne dépendraient plus du paiement ou du non paiement des factures puisque le fournisseur ne pourra plus « procéder à une réduction de puissance ». Dès lors qui trouverait un intérêt quelconque à continuer de payer ? Où placez-vous dans votre texte la « peur du gendarme » qui incite un ménage – a fortiori aisé – à régulièrement payer ses factures d’énergie ?
Ainsi, face à ces interrogations vous voudrez bien préciser dans le cadre de votre proposition de loi les recours que vous donnez aux fournisseurs d’énergie en cas de « non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz ». Plus globalement, vous voudrez bien expliquer en quoi l’article 5 de votre proposition de loi n’instaure pas la fourniture gratuite d’électricité, de chaleur ou de gaz dans les résidences principales.
Je vous prie d’agréer, M. le député, l’expression de ma très haute considération.