La campagne électorale officielle pour l’élection présidentielle de 2022 n’a pas commencé et encore moins le vote que déjà des voix s’élèvent pour annoncer une supposée fraude. Certes ces dernières ne sont pas nombreuses mais elles existent et tout porte à croire qu’elles vont prospérer dans les semaines à venir. C’est donc avec l’envie de couper court autant que possible à ces affirmations que je rédige ce billet.
Il y a un seul point sur lequel mes futurs détracteurs et moi seront d’accord : c’est que l’objectif de cette fraude – si fraude il y avait – consisterait à faire réélire Emmanuel Macron. Si pour eux cela ne sera possible qu’en trichant, pour moi cela sera possible sans tricher. Autrement dit je considère que si l’actuel président de la république est réélu ce sera par le choix des électeurs dans l’isoloir et non pas à cause d’une quelconque tricherie.
Les données du problème étant posées regardons tout cela d’un peu plus près. Les complotistes* utilisent l’argument d’une réunion – officielle par ailleurs – entre le ministre de l’intérieur et le président du conseil constitutionnel pour développer l’idée que ces deux personnes fomentent les grands principes d’une fraude, entre autres à partir des procurations ou d’un éventuel vote par correspondance. Sauf que la France n’est pas les Etats-Unis et qu’il est impossible – même à un complotiste – d’affirmer que ce qui aurait fonctionné outre-Atlantique fonctionnera dans notre hexagone. C’est qu’il existe deux armes redoutable contre ces rumeurs : le code électoral et les données publiques.
Le code électoral, oui ! La situation sanitaire risque d’imposer des aménagements mais ces derniers ne pourront être que de nature réglementaire. C’est en ce sens que le code électoral nous protège, tous autant que nous sommes. Si nous regardons par exemple le vote par correspondance, nous voyons tout de suite qu’il ne peut pas exister sans une loi. Cela ne veut pas dire qu’on en parle pas ; cela veut dire que s’il était mis en place il ne pourrait pas l’être cette année. Il n’y aura donc pas de vote par correspondance possible lors de cette élection. Voyons alors du coté du vote par procuration. Là aussi les modifications ne pourront être que de nature réglementaire. Et si pour les complotistes aménagement veut dire fraude je crains qu’ils en soient pour leurs frais car cette manière de voter a toujours été marginale. Il en sera de même en Avril 2022.
Je pense plutôt que la réunion a porté sur d’autres sujets comme les « gestes barrières » par exemple. Le président du bureau de vote sera chargé de les faire respecter mais pour cela il faudra que ce soit écrit, « officiel » en quelque sorte. La rencontre entre le ministre de l’intérieur et le président du conseil constitutionnel n’avait pas d’autre but que de regarder ces aspects-là du dossier.
Le passé l’a démontré, un maire ou un député** tenant à tout prix à sa réélection pouvait être tenté de manipuler les résultats d’un bureau de vote voire de plusieurs autres, souvent de manière artisanale et par la force des choses, flagrante. Les cas avérés étudiés par la justice ont conduit à annuler des élections mais seulement au niveau d’une circonscription. Ceci acté on réalise alors que pour une élection présidentielle cela demande une organisation d’une toute autre envergure. Ce à quoi les complotistes vont répondre qu’il suffit de faire en grand ce qui se faisait en petit et qu’après tout peu importe la méthode, ce qui compte c’est le résultat : il suffira de trafiquer les chiffres au niveau même du ministère de l’intérieur en charge de collecter les votes et le tour est joué. C’est là qu’interviennent les données publiques, la seconde arme anti-fraude, ce même ministère ayant diffusé sur son site internet les résultats des élections de 2017 bureau de vote par bureau de vote. Vous n’imaginez sans doute pas la richesse d’informations que cela recèle : Dans combien de bureaux Emmanuel Macron n’a t-il eu aucune voix ? Où Marine le Pen a t-elle eu le plus de bulletins ? Dans quel bureau de plus de 10 000 électeurs inscrits a t-on le plus voté ? Voilà quelques exemples de questions auxquelles le fichier permet de répondre. Mais au-delà de ces interrogations il dessine une véritable sociologie du vote, commune par commune, département par département.
Ainsi, pour frauder en 2022, le ministère de l’intérieur va t-il devoir bâtir un fichier qui – tout en tenant compte des évolutions sociologiques de la population depuis 5 ans – permettra de dire qu’Emmanuel Macron est réélu. Avoir la complicité d’une dizaine ou même d’une centaine de présidents de bureaux de vote ne sera pas suffisant, d’autant plus que de tels résultats ne seraient pas en cohérence avec les bureaux de vote voisins qui – eux – n’auraient pas triché. C’est l’autre volet utilisé par les complotistes : la fraude est tellement parfaite qu’elle en devient invisible, sauf pour eux qui ont tout deviné depuis le début. Je suis désolé mais je ne crois pas à la fraude invisible, surtout quand on est ensuite incapable d’en expliquer le modus operandi.
Regardons de plus près le fichier mis à disposition de tous, voulez-vous ? Vous découvrirez comme moi que – d’Aast à Zuytpeene en passant par Genève*** – il y avait pour l’élection de 2017 69 242 bureaux de vote ouverts avec une moyenne de 687 électeurs inscrits. Vous devez donc fatalement conclure que si fraude massive il doit y avoir elle ne pourra pas se faire au niveau du bureau de vote, qui est une entité trop petite pour véritablement influer sur le résultat final. C’est là toute la différence avec les Etats-Unis d’Amérique où l’élection du président peut parfois dépendre d’un seul état et dans cet état dépendre de quelques bureaux de vote. Rien de tel n’est possible en France puisque d’où qu’il vienne chaque bulletin compte pour une voix. Donc, à système électoral différent il faut forcément une « triche » différente. Et j’ai beau tourner cela en tout sens je ne vois que la fraude à l’arrivée comme possibilité. C’est-à-dire que chaque bureau de vote envoie son décompte mais – comme par hasard – seul le ministère de l’intérieur a la connaissance de l’ensemble des résultats, qu’il peut donc manipuler à sa guise. Les complotistes n’auront que cela comme argument. Sauf que je veux forcer ces derniers à sortir du bois, à nous annoncer noir sur blanc comment le gouvernement compte s’y prendre pour truquer l’élection, n’ayons pas peur des mots.
Il serait trop facile de pousser des cris d’orfraie au soir du premier tour après avoir passé toute la campagne électorale à nous expliquer que « les résultats seront truqués mais nous ne vous dirons pas comment ils vont s’y prendre. Soyez toutefois certains que nous savons qu’il y aura tricherie. ». Puisque la conviction ne peut pas tenir lieu de preuve les complotistes ne doivent pas éviter l’obstacle et nous décrire dès à présent la méthode qui sera employée.
Pourquoi pas à partir des machines à voter puisqu’elle sont montrées du doigt pour leur vulnérabilité et par conséquent sujettes à fraude ? Sauf qu’une machine qui donnerait 89% des voix à Emmanuel Macron serait forcément suspecte. Si fraude il doit y avoir elle se doit donc d’être subtile sauf que nous touchons là aux limites de la fraude à la française. Donner systématiquement 10 voix de plus à Emmanuel Macron sur chaque machine serait certes subtil mais surtout inutile. N’oublions pas qu’il existe plus de 69 000 bureaux de vote et que c’est la somme de tous ces bureaux qui compte ! Les machines à voter existent mais leur nombre est en proportion ridiculement faible. Nous en revenons donc au point de départ : la fraude ne peut pas avoir lieu au début du processus – au moment du vote – mais à l’arrivée, au moment de la compilation des résultats. Sans doute va t-il rester quelques irréductibles complotistes qui vont nous dire que « oui, oui ! » c’est possible puisque le ministère a tous les leviers en main. Hélas ces mêmes complotistes seraient bien en peine de nous expliquer comment, surtout lorsque – entre les deux tours – les résultats de tous les bureaux de vote seront rendus publics****.
*Permettez-moi d’utiliser ce mot dans une acception bien précise : je dis complotiste toute personne tenant pour vraie l’existence d’une organisation concertée d’actions visant à un but précis, dont l’origine est secrète ou cachée du plus grand nombre mais que elle a réussi à percer à jour.
**Féminin implicite
***Bureau de vote comptant le plus grand nombre d’électeurs inscrits, 105 891.
****La presse quotidienne régionale a l’habitude de publier les résultats bureau de vote par bureau de vote. Si cela ne permet pas d’avoir une cartographie complète, cela a au moins l’avantage d’avoir le détail pour sa région.