C’est un court échange sur Twitter qui me décide à écrire, à propos d’un billet de mon blog sur le déterminisme social. Je veux transformer la réflexion engagée en question : Peut-on dispenser dans un lycée de la banlieue parisienne le même enseignement qu’au Lycée Louis-le-Grand de Paris ? Au risque de passer pour utopiste je veux répondre oui, ou du moins dire que je souhaite de toutes mes forces que nous tendions vers cela. Mais examinons plus avant les raisons qui font que ce n’est pas possible car elles éclaireront sur ce qu’il faudrait faire pour rendre cela possible.
Pour commencer, qu’est-ce qui empêche aujourd’hui de donner aux élèves d’un lycée de banlieue le même cours de mathématiques ou de français que celui dispensé à Louis-le-Grand ? En théorie rien du tout. En pratique ce qui vient en premier à l’esprit est le niveau scolaire des élèves du lycée de banlieue. Pour le dire de manière abrupte ils ne comprendraient rien au cours. En seconde analyse – presque aussi rapide que la première – c’est l’acceptation de suivre un tel cours qui ne passerait pas. D’abord pour cette histoire de niveau mais aussi parce que le decorum entre ces deux lycées est radicalement différent ; la manière concrète de dispenser le cours est bien trop éloignée de celle que les élèves de banlieue ont l’habitude de recevoir. Le fossé est trop large pour être comblé du jour au lendemain et il y a toutes les chances pour que les élèves ne jouent pas le jeu consistant à écouter le cours ; bref, à vouloir apprendre. Je vais donc poser la question d’une autre manière : Sans tenir compte du niveau scolaire, combien d’élèves de banlieue souhaiteraient recevoir le même enseignement que celui dispensé au lycée Louis-Le-Grand ? Je suis prêt à parier que la réponse n’est pas de 100%, tout bonnement parce qu’il y a un réel effort intellectuel à faire et que peu s’en sentent capables. Nous trouverions aussi dans notre étude une part d’élèves qui ne comprendraient pas l’utilité d’un tel enseignement.
On le voit, la cause profonde de tout ceci est bien entendu l’environnement social. Il suffit pour cela de se tourner vers les élèves de Louis-le-Grand eux-mêmes. Pour ces derniers la question de l’utilité de l’enseignement ne se pose pas car elle va de soi. Certains diraient même qu’elle est indispensable pour assouvir leur soif d’apprendre ou du moins leur envie d’acquérir assez de savoir en vue de poursuivre leur cursus.
Ai-je enfoncé une porte ouverte, découvert l’eau tiède ou le couteau à couper le beurre ? Oui et non. « Oui » car c’est une évidence et « Non » car rien n’est fait pour changer cela d’un iota. Ici j’en veux beaucoup à l’éducation nationale qui a abandonné – il n’y a pas d’autre mot – les élèves de banlieue en leur dispensant un enseignement à leur niveau. Et forcément j’en veux à ces derniers de s’en contenter, de ne pas réclamer dans leur école d’abord, dans leur classe ensuite la présence à leurs cotés d’un très bon élève*.
Posons-nous aussi la question de savoir « pourquoi ils n’y comprendraient rien ? ». Il n’est quand même pas acceptable de s’entendre répondre que les élèves banlieusards seraient plus idiots** que les élèves de Louis-le-Grand. C’est l’environnement social dans son ensemble – et cela englobe l’environnement familial – qui est l’unique discriminant.
A titre d’exercice de pensée imaginons que chaque année chaque meilleur élève*** de chaque lycée de banlieue se voit offrir d’aller passer l’année scolaire suivante à Louis-le-Grand. Cet élève aura t-il la capacité de suivre l’enseignement du lycée parisien ? J’ai la faiblesse de croire que oui dans la plupart des cas et ce pour plusieurs raisons. Primo la satisfaction d’intégrer Louis-le-Grand, de se savoir reconnu comme un élève capable ; je compte en secundo sur un surplus de motivation pour faire la démonstration qu’il est possible en venant d’un modeste lycée de banlieue de suivre la scolarité de Louis-le-Grand sans décrocher. Enfin tertio, être au contact quotidien des autres élèves de ce lycée ne peut être qu’enrichissant.
Car pour en revenir au point de départ je veux aussi combattre le retrécissement de la pensée. Non, les élèves des lycées de banlieues ne sont pas des nuls en puissance quand bien même ils seraient les premiers à l’admettre. Je dis cela parce qu’on ne cherche plus à les tirer vers le haut, on a abandonné la partie. Et drame par-dessus le drame, les élèves eux-mêmes jettent l’éponge avant tout par paresse intellectuelle. Cette paresse intellectuelle qui n’est d’ailleurs que la fille naturelle du déterminisme social. Famille pauvre financièrement, pauvre socialement, pauvre intellectuellement… dans ces conditions comment voulez-vous que ces enfants s’en sortent scolairement parlant quand de surcroît on leur délivre un enseignement « à leur niveau » ?
La première marche est la plus haute : C’est celle qui consiste à dire à ces élèves que « oui », ils peuvent élever leur niveau intellectuel, « oui » l’école et les enseignants devraient être là pour ça, pour tirer le maximum d’entre eux le plus haut possible sans pour autant transformer cela en une compétition impitoyable.
Mais je suis déjà d’accord pour dire que si c’est impossible c’est aussi parce que les exemples de réussite à leur porte manquent. Médiocres eux-même, ils n’ont autour d’eux que d’autres élèves tout aussi médiocres. Retournons un instant à Louis-le-Grand pour comparer : Cette école a une histoire, un passé. La liste des élèves ayant réussi est interminable. Par conséquent chaque élève de ce lycée a la certitude de cotoyer dans l’école au moins un autre élève dont la réussite sera éclatante. Peut-on perdre pied à Louis-le-Grand ? Dans la plupart des cas, non. Parce que tout a été fait en amont pour que cela se passe bien, lisez ici avant même le premier cours dans ce lycée. L’élève en question a bénéficié dès son plus jeune age d’une famille à l’aise intellectuellement, souvent à l’aise financièrement, sans parler d’un environnement social enrichissant.
Tout ceci n’existe pas dans notre lycée de banlieue. Souvent de construction récente – seule bonne nouvelle – il n’a pas encore d’histoire, sans compter que personne ne cherche à « tracer » les rares élèves qui auraient réussi et pourraient ainsi servir d’exemple aux autres. Cette différence, toute invisible qu’elle est n’en demeure pas moins réelle. Pour reprendre une expression digne de la banlieue il n’y a pas dans ces lycées de « grand frère » à prendre comme modèle et cela est bien regrettable.
* J’ai été élève d’un tel lycée de banlieue durant les années 1980. « Il » – je parle là du bon élève – était dans ma classe. Sa régularité à toujours obtenir les meilleures notes quelle que soit la discipline forçait le respect de tous et tirait la classe vers le haut.
** Au sens clinique du terme, cela s’entend.
*** Féminin implicite.